l'histoire des Pourim
Mes excuses a l’auteur de ces lignes dont je ne me rappelle plus le nom.
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Beyrouth, 1560.
Il y a de cela bien longtemps, au milieu du 16ème siècle, vivait en Orient un grand Pacha. Il jouissait de la confiance et de l'amitié du Calife, qu'il aidait à administrer son immense royaume.
Ce puissant Seigneur avait sa résidence à Beyrouth; dans cette ville même était établie une nombreuse communauté israélite. Pendant de longues années, ce maître autoritaire n'avait cessé d'opprimer ses sujets juifs; il était constamment à la recherche de nouveaux moyens, de nouveaux prétextes pour leur extorquer de l'argent. Plus ses richesses augmentaient, plus s'étendait sa convoitise.
Un jour, environ deux semaines avant Pourim, il manda les dirigeants de la communauté juive et leur parla en ces termes :
"Moi, grand et puissant Pacha par la grâce d'Allah et du Calife à Bagdad, je vous assigne. J'ai appris, en effet, que je descends en droite ligne du grand Haman, Premier Ministre du roi Assuérus, que vos aïeux ont conduit au gibet. Comme vous le savez, mon noble ancêtre avait payé au souverain dix mille pièces d'argent, moyennant quoi il achetait tous les sujets juifs d'Assuérus vivant dans les cent vingt sept provinces de son empire. Mais vos magiciens Mordekhaï et Esther, jetèrent un sort plus puissant que celui de Haman, et provoquèrent ainsi sa mort et celle de ses dix fils.
En conséquence, j'aurais tous les droits de vous faire pendre afin de venger mon illustre ancêtre. Néanmoins, je serai clément et miséricordieux; je vous demanderai seulement de me restituer les dix mille pièces d'argent que Haman a perdus par la faute de vos aïeux. Cela ne serait que juste puisque je suis son héritier légitime. Je vous accorderai un délai de deux semaines pour réunir cette somme et la verser à mon trésor. Quand, ce mois, la lune sera à nouveau pleine, vous devrez comparaître devant moi, dans ce palais, afin de payer votre dette. Si, le jour dit, vous manquez à cette obligation, je me verrai contraint de prendre le même décret que mon ancêtre a pris en ces temps lointains, notamment d'anéantir par le fer et le feu tous les Juifs, hommes, femmes et enfants, vivant dans le pays. Et sachez bien, ajouta-t-il d'un ton menaçant, que là où Haman a échoué, moi je réussirai. Partez, maintenant!" .
Le cœur lourd, les chefs juifs quittèrent le palais du cruel Pacha. "Où trouverons-nous une telle quantité d'argent pour apaiser ce maître intransigeant ? se dirent-ils. Tous les trésors de l'Inde ne pourraient le satisfaire. Il ne nous reste qu'un seul recours: nous rassembler dans nos synagogues et prier Dieu, à l'exemple de nos ancêtres au temps de Mordekhaï et d'Esther".
Et ainsi fut fait. Les Juifs se rassemblèrent dans leurs synagogues où ils se mirent en prières et jeûnèrent jour après jour, implorant Dieu Tout-Puissant afin qu'Il les sauve des mains du perfide Pacha.
Fort loin du lieu où se déroulaient ces événements, dans la sainte ville de Safed en Terre Sainte, vivait un saint homme nommé Rabbi Isaac Louria. Il devait à sa sainteté le pouvoir de tout connaître de ce qui se passait dans le monde. Rien n'avait de secret pour lui. Ainsi, il savait tout des soucis et des souffrances de son peuple, où que celui-ci se trouvât, et était au courant de la terrible calamité qui menaçait la communauté juive de Beyrouth. Les voix de ses frères montant vers Dieu en supplications ardentes arrivèrent à ses oreilles, il se joignit à elles dans une prière pleine de ferveur. Et il sut que leurs invocations étaient agréées, et que Dieu y répondrait en sauvant les Juifs. Il envoya alors une lettre d'encouragement à ses frères à Beyrouth, leur disant qu'ils ne devaient plus craindre le cruel Pacha, mais plutôt avoir foi en l'intervention de Dieu pour les sauver; car ils pouvaient être sûrs qu'Il les sauverait. Le saint homme les engageait à ne même pas essayer de réunir les fonds qui apaiseraient le tyran; ce n'est pas l'argent, ajoutait la lettre de Rabbi Isaac, qui les tirerait de ce mauvais pas, mais seulement leurs prières et leur foi.
Quand le saint message fut arrivé, la communauté juive de Beyrouth respira; chacun sécha ses larmes et reprit courage. On était au mois d'Adar, le mois des réjouissances, on commença les préparatifs pour célébrer Pourim dans la plus grande allégresse.
"En cette nuit là …"
C'était une nuit sombre, une nuit d'orage. La pluie tombait à verse et le vent faisait rage. La peur tenait tout le monde éveillé; seul le cruel Pacha allait pouvoir dormir. Dans le somptueux confort de son palais, une agréable pensée berçait sa somnolence: bientôt les dix mille pièces d'argent viendraient accroître son trésor .
Cette nuit là, pourtant, il fit un rêve bizarre. Il se vit sur la place du marché de sa ville. En face de lui, s'élevait un gibet haut de cinquante coudées. Puis, il aperçut onze individus à la mine patibulaire pendus. Sur la douzième potence, une corde prête pour une douzième victime. Le Pacha, effrayé, se prit à trembler. "Je me demande, pensa-t-il, avec appréhension, qui sera la douzième victime … ".
Soudain, un homme âgé apparut. Sa barbe était d'argent, et son aspect pareil à celui d'un ange de Dieu.
"Coquin! cria le vieillard au Pacha. Tu ne reconnais donc plus ton ancêtre Haman et ses dix fils dont les corps se balancent au bout des cordes? La douzième corde que tu vois est prête; elle est pour toi. Bientôt ta tête y passera.
- O, saint homme, de grâce épargne-moi ! Je te promettrai tout ce que tu voudras; je t'en supplie, sauve-moi la vie; pense à ma femme et à mes enfants.
- Homme pervers! Comment oses-tu invoquer la pitié quand il n'y en a pas l'ombre dans ton cœur cruel. As-tu eu, toi, fût ce une bonne pensée pour les milliers d'hommes, de femmes et d'enfants juifs que tu as menacé d'anéantir dans ton pays ?
- Je te le promets, saint homme, je ne toucherai pas à un seul cheveu de mes sujets juifs. Je t'en supplie, aie pitié de mon âme si chargée de péchés !
- Eh! bien, tu auras la vie sauve, mais à une condition seulement: tu signeras et scelleras de ton sceau un document dans lequel tu reconnaîtras avoir reçu dix mille pièces d'argent des mains des Juifs au nom du Calife de Bagdad."
Tout tremblant de peur, le Pacha rédigea le reçu sur un parchemin, dans les termes exigés par le vieillard, le signa et y apposa son sceau. Il le tendait à son interlocuteur, quand un coup de vent le lui arracha de la main et l'emporta au loin jusqu'aux nuages. Il y eut un coup de tonnerre suivi d'un éclair, et le Pacha se réveilla en sursaut.
Revenant peu à peu à lui, il se rendit compte que ce n'était qu'un cauchemar. "Quel rêve stupide!" dit-il avec un soupir de soulagement.
Le petit parchemin continuait à voler à travers les nuages. Il finit par arriver à Safed et atterrit à la maison de Rabbi Isaac; pénétrant par la fenêtre, il se posa avec un petit bruit sec sur la table même où le saint homme, revêtu de son Talith et des Tefilin, était plongé dans l'étude de la Torah. Il prit le document entre ses mains et le lut. Un sourire heureux éclaira son visage.
Une Fin Heureuse
Rabbi Isaac enveloppa le remit dans une pièce de toile et envoya un de ses disciples le porter au chef de la communauté juive de Beyrouth. Au petit paquet, il joignit un message à ses frères, leur demandant d'en garder le secret; ils ne devaient révéler l'existence du précieux document jusqu'à l'échéance fixée par le tyran.
Le jour fatidique de Pourim arriva. Une lune pleine apparut dans un ciel sans tache. Le Pacha fit venir les dirigeants juifs. "Avez vous les dix mille pièces d'argent ? leur demanda-t-il. Sinon, vous savez ce qui vous attend: vous et vos frères périrez immédiatement".
Le chef de la délégation produisit alors le parchemin, et le montra au Pacha: "que votre Excellence veuille bien lire ce qu'elle a écrit de sa propre main".
Le Pacha y jeta un coup d'œil et devint soudain très pâle. Puis un tremblement envahit tout son corps. Il reconnaissait le document rédigé dans son rêve et, le souvenir lui revenant tout à coup, il vit le gibet haut de cinquante coudées, avec les onze hommes pendus côte à côte et la douzième corde libre. D'un geste instinctif, il porta sa main à son cou, et un frisson lui courut dans le dos.
- Je vois maintenant que le Dieu d'Israël ne dort ni ne sommeille, dit le Pacha d'une voix mal assurée. Bien sûr, vous aurez tous la vie sauve; j'ai seulement une demande à vous faire: priez votre Dieu Tout Puissant de m'épargner. Je promets de ne jamais vous faire de mal, aussi longtemps que je vivrai.
Ce fut un très joyeux Pourim pour les Juifs de Beyrouth. Non seulement ils étaient sauvés grâce à un miracle de Dieu, mais aussi, à partir de ce jour, le Pacha, naguère si cruel, se mit à les gouverner avec bonté. Il savait que sa vie même dépendait du traitement qu'il réserverait à ses sujets juifs. Ce fut, en effet, un très heureux Pourim.
POURIM DU YEMEN
C'était à Sanaa, capitale du Yémen.
Le Grand Imam, souverain puissant, y régnait. Il avait un jeune fils qu'il chérissait. Le prince alliait à une grande sagesse une beauté physique qui séduisait tous ceux qui le voyaient. Monté sur son cheval d'une blancheur éclatante, il éclipsait tous les princes de la terre. Et dans le pays, les mères qui le regardaient à travers leurs voiles, ne pouvaient formuler qu'un souhait: que leurs fils eussent en partage une petite parcelle de la beauté de leur prince.
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Photo pas du tout contractuelle (ici Juifs du Maroc...) |
Les Juifs de Sanaa eux aussi l'aimaient et l'admiraient. Quand il allait leur rendre visite dans leur quartier, aucun d'eux ne manquait de sortir l'acclamer et l'accueillir avec tous les honneurs qui lui étaient dus.
Or, le roi du Yémen, l'Imam, avait un conseiller juif. Il ne prenait jamais aucun décret, ne promulguait aucune loi, ne décidait aucun impôt sans avoir préalablement consulté ce dernier. Etait-ce une décision bénéfique pour le peuple et pour le roi ? Le conseiller donnait un avis favorable. Mais si elle n'était bonne que pour le souverain ou pour une partie seulement des sujets, il s'y opposait. Le roi alors y renonçait.
"La fête du sucre"
Les ministres de ce dernier étaient fort jaloux de la confiance dont jouissait le conseiller. Et leur jalousie fut à son comble quand le souverain le nomma Grand Vizir. A partir de ce jour, toutes les affaires du royaume furent entre ses mains.
Et il arriva ce qui devait arriver: les ministres, dévorés d'envie, se mirent à comploter pour faire tomber le trop heureux Grand- Vizir. Du même coup, ils espéraient anéantir, tout entière et une bonne fois pour toutes, la communauté juive du pays. En payant les deux serviteurs particuliers du prince, ils les persuadèrent de se joindre à leur plan perfide.
Un jour, le prince sortit faire une promenade à cheval dans les rues de Sanaa. Ses deux serviteurs l'accompagnaient. Le soleil était près de se coucher quand l'un de ces derniers dit à son maître : "Prince, cette nuit, les Juifs célébreront la "Fête du Sucre" qu'ils appellent Pourim. Ils préparent à cet effet des gâteaux et des friandises délicieux qu'ils mangent au milieu de grandes réjouissances. Si nous allions au quartier juif visiter leur synagogue où ils seront tous rassemblés pour cette cérémonie?"
Deux assassins
La suggestion plut au prince. Ils se dirigèrent tous trois vers le quartier juif. La nouvelle de cette visite les avait précédés; si bien que lorsque le prince et ses deux serviteurs parvinrent au portail de la synagogue, le 'Hakham-Bachi (Grand-Rabbin) et les chefs de la communauté les y attendaient. Ils voulaient recevoir le prince avec tous les honneurs dignes de son rang. Le Grand Vizir, qui était venu assister à l'office religieux, se trouvait parmi eux.
Les serviteurs du prince sautèrent vivement a terre et s'empressèrent autour de leur maître pour l'aider à descendre de sa monture. Se conformant au plan minutieux qu'ils avaient préparé, l'un d'eux tira brusquement de son fourreau l'épée du prince et la tint la pointe levée vers le haut; pendant ce temps, l'autre gardait prisonnier dans l'étrier le pied de son maître, alors qu'il essayait de descendre de cheval. Le prince, ne parvenant pas à se dégager, perdit l'équilibre et s'abattit sur la pointe de l'épée que le serviteur tenait fermement levée vers lui. Elle lui traversa le cœur, il tomba raide mort à leurs pieds.
Tout cela se produisit à la vitesse de l'éclair. Et les gestes étaient si bien orchestrés que nul ne comprit ce qui s'était réellement passé. La nuit complice tombait. Aussitôt leur forfait accompli, les deux coquins se mirent à pousser des cris et à accuser les Juifs de ce crime. Puis, abandonnant le corps inanimé du prince à la porte de la synagogue, ils partirent au galop en direction du palais.
Trois jours de jeune
Les Juifs étaient frappés de stupeur devant cette calamité inattendue. L'esprit joyeux de Pourim céda la place à une angoisse et à une tristesse profondes.
Entre-temps, le corps du prince avait été transporté au palais où le roi pleura amèrement la perte de son fils bien aimé. Les deux serviteurs lui avaient raconté leur fable: un assassin juif était responsable de cet immense malheur. Il les crut et ordonna sur le champ à l'armée d'encercler le quartier juif. Nul ne devait en sortir. Et il donna aux Israélites trois jours pour lui livrer le meurtrier. Passé ce délai, on mettrait le feu à tout le quartier ; et tous ses habitants, hommes, femmes et enfants, périraient dans les flammes.
Le Grand Vizir fit de son mieux pour persuader le roi que ses frères juifs ne pouvaient avoir commis un crime aussi révoltant contre D.ieu et contre leur souverain. Mais ce fut peine perdue; ce dernier resta sourd à ses arguments. Il lui retira ses hautes fonctions et lui ordonna de regagner le quartier juif. Là, il partagerait le sort de ses coreligionnaires. Les ministres qui avaient ourdi cet atroce complot feignirent un grand chagrin. Au fond d'eux-mêmes, ils jubilaient.
Comme toujours aux heures de détresse, le 'Hakham-Bachi proclama un jeûne public et appela tous ses frères à implorer leur Père Céleste de toute leur âme. Le jeûne durerait les trois jours suivants; et tous, les hommes, les femmes et même les enfants devaient l'observer. Pendant ces trois jours, aucune nourriture ni aucune boisson ne toucheraient leurs lèvres. Les Juifs âgés demeureraient dans la synagogue jour et nuit. Chacun pria et implora. Les cœurs étaient pleins d'affliction, et les yeux de larmes. Le troisième jour, les prières redoublèrent d'intensité; et les lamentations montèrent jusqu'au Trône Céleste.
Tard dans l'après-midi de ce dernier jour, un petit garçon dit soudain à sa mère: "Maman! D.ieu a accepté nos prières. Donne-moi maintenant quelque chose à manger, car j'ai grand faim!"
Les Saints Psaumes
La mère en fut effrayée. "Ne parle donc pas de la sorte, mon petit! Dit elle à son fils. Le 'Hakham nous a ordonné à tous d'observer le jeûne jusqu'à la fin."
Mais le garçon continua à dire qu'il avait faim et qu'il n'était plus nécessaire de jeûner plus longtemps puisque D.ieu avait accepté leurs prières...
Devant cette insistance la mère décida d'emmener son fils chez le 'Hakham. Elle était si affaiblie par le jeûne qu'elle arrivait à peine à se traîner.
Le garçon répéta au 'Hakham les mêmes paroles qu'à sa mère.
"Dis-moi, mon petit, qu'as-tu appris ce matin au 'Héder ?" , demanda le 'Hakham.
"J'ai appris que le roi David dit dans les Saints Psaumes (Ps. 8: 3) : "Par la bouche des enfants et des nourrissons, Tu as fondé Ta gloire pour confondre Tes adversaires, pour imposer silence à l'ennemi et au vindicatif", répondit le garçon; et il poursuivit: "Emmenez-moi chez le roi, je lui dirai qui a tué son fils!"
On s'occupa fébrilement de la toilette du jeune enfant, on le revêtit de ses habits de Chabbat, et il fut emmené sous bonne escorte au palais par le 'Hakham-Bachi et le Grand Vizir. Il en était temps, car le jour baissait, et le roi attendait la réponse avant le coucher du soleil.
Dans la salle du trône, étendue dans un cercueil d'or découvert, la dépouille du prince héritier était visible. Le roi, ses ministres et ses serviteurs l'entouraient.
"Emeth"
Le garçon s'avança. Il était très pâle, mais il dit d'une voix assurée : "Majesté, D.ieu m'a envoyé pour vous révéler le nom de celui qui a tué votre fils bien-aimé."
Ayant prononcé ces paroles, il s'approcha du cercueil et posa un fragment de parchemin sur le front du prince. Sur ce parchemin étaient inscrites trois lettres hébraïques, Aleph Mêm Tav : la première de l'alphabet, celle du milieu et la dernière. Ensemble, elles formaient le mot "EMETH" (Vérité).
"Dis-nous la vérité, dit le garçon en s'adressant au prince mort. Qui t'a tué ?"
A la stupéfaction générale, le cadavre se redressa et pointa un index droit vers ses deux serviteurs qui se tenaient debout, tout tremblants.
"Rentre dans ton sommeil, ô Prince!" dit alors le garçon.
Aussitôt la première lettre disparut. Seules demeurèrent sur le parchemin les deux dernières, formant le mot "MeTh" (mort).
Une délivrance miraculeuse
Les deux scélérats se jetèrent aux pieds du roi, implorant sa pitié. Mais avaient-ils eu pitié, eux, du prince qu'ils avaient froidement assassiné ? Avaient-ils eu pitié des nombreux enfants juifs et de leurs parents dont ils souhaitaient la mort ? Le roi non plus n'eut pas de pitié pour les deux traîtres. Il donna l'ordre qu'on les pendît haut et court. Avant de mourir, ils lui révélèrent les noms des ministres qui avaient monté le complot. Eux aussi, dix en tout, furent pendus.
Pour les Juifs du Yémen, c'était une délivrance miraculeuse. Ils décidèrent alors d'observer comme un jour de réjouissances et d'actions de grâces à l'adresse du Tout-Puissant, ce Pourim-Téman spécial; et ce, chaque année le jour suivant Chouchane Pourim.
Et le petit garçon ? Il grandit et devint un saint Tsaddik. Et quand le 'Hakham-Bachi, après une longue vie, rendit son âme au Créateur, celui qui avait été ce petit garçon fut choisi pour lui succéder à la tête de la communauté juive de tout le Yémen.
POURIM BASRAH, 1770.
Basrah est, par son importance, la seconde ville d'Irak, après Bagdad. Ce royaume arabe est situé dans la partie sud-ouest de l'Asie, et qu'on appelait jadis la Mésopotamie - "le pays d'entre les deux fleuves", le Tigre et l'Euphrate. (Dans le 'Houmach elle a nom Aram-Naharaïm ou Paddam-Aram). Dans la partie septentrionale de cette région, au temps de notre Patriarche Abraham, florissait le puissant empire babylonien. Là, à Our, en Chaldée, Abraham naquit. Et quand il commença à s'attaquer aux idoles locales et à proclamer l'existence d'un Dieu unique, il fut jeté dans une fournaise, dont il sortit, miraculeusement, sain et sauf. La Mésopotamie a aussi été le lieu de naissance de nos "Matriarches" Sarah, Rivkah, Rachel et Léah.
La ville de Basrah fut fondée par les Arabes en l'an 636, il y a plus de treize siècles. Elle est située à 120 kilomètres au nord du Golfe Persique, et à environ 160 au sud de l'ancienne ville de Suze, mieux connue sous le nom de Chouchane, capitale du roi A'hachvéroche (Assuérus). Suze fait actuellement partie du royaume d'Iran {anciennement la Perse).
Les Juifs s'établirent à Basrah dès les premiers temps de sa fondation, et une communauté israélite importante s'y développa bien vite. L'épisode que nous allons vous conter eut lieu il y a 200 ans. Il s'acheva sur une délivrance si miraculeuse que les Israélites instituèrent un Pourim spécial en souvenir de cette issue providentielle, un Pourim qu'ils observèrent chaque année le second jour de Nissan, l'appelant "le Jour du Miracle". La Méguilah spéciale (Méguilath Parass) composée en l'honneur de ce jour en fait le récit.
On était au temps de Soliman Pacha, qui gouvernait Basrah avec justice et droiture, et traitait les Juifs avec bonté. La communauté israélite de cette ville prospérait sous la direction éclairée de son chef, le Nassi Rabbi Jacob ben Aharon. Puis un jour du mois de Nissan, en l'an 5531 après la Création (1771), arriva Karim Khan, vizir du Chah de Perse, à la tête d'une puissante armée, et mit le siège devant Basrah. Soliman Pacha essaya de résister. Mais la famine eut raison des défenseurs, et le 27 Nissan, la ville tomba. La soldatesque de Karim Khan se livra au pillage et commit les pires abus; des femmes furent enlevées. Beaucoup de Juives se jetèrent au feu et moururent, pour ne pas tomber aux mains des envahisseurs.
Le jour de Roch-'Hodèch. Iyar, Karim Khan établit son pouvoir sur Basrah. Des indemnités très lourdes furent réclamées à la population, et particulièrement à la communauté juive dont on prit les chefs comme otages. Rabbi Jacob ben Aharon, sa femme et ses enfants furent envoyés comme prisonniers au Chah à Chiraz, en même temps que Soliman et sa famille. Pendant que Karim Khan et ses hommes célébraient leur victoire par d'abondantes libations, !a ville de Basrah était au désespoir!
Les Juifs de la ville se rassemblèrent dans la synagogue et proclamèrent un jeune de repentance. Ils pleurèrent et implorèrent Dieu qu'Il les délivrât des envahisseurs. Le Tout Puissant entendit leurs prières. Et comme le Cœur des rois et des gouvernants est entre Ses mains, il durcit le cœur de Karim Khan et l'incita à rechercher encore plus de conquêtes et de gloire. Ce dernier alla combattre contre les tribus arabes voisines, mais il essuya une sanglante défaite, et dut battre en retraite à Basrah après avoir subi de très lourdes pertes. Il rassembla une nouvelle armée et marcha à nouveau contre les Arabes. Mais ceux-ci le firent tomber dans une embuscade, Les troupes de Karim Khan s'empêtrèrent dans les eaux des fleuves en crue. Les Arabes en profitèrent pour tuer un grand nombre d'entre eux. Karim Khan échappa de justesse à la mort, et ramena à Basrah les débris de son armée. Le vizir persan, il qui les deux précédentes défaites n'avaient rien appris, réunit en hâte une autre armée; il voulait prendre sa revanche sur les Arabes. Mais ses soldats n'avaient plus le cœur à combattre; ils complotèrent pour se débarrasser de lui. Le 27 Adar, Karim Khan fut trouvé mort. Ses propres serviteurs l'avaient empoisonné.
"Yom Haness, le jour du miracle" .
La nouvelle de la mort de son vizir et de la défaite de ses armées parvint au Chah. Il ordonna à ce qui restait de celles-ci de quitter Basrah à la faveur de l'obscurité, et de retourner en Perse sans que personne s'en aperçoive.
Le second jour de Nissan, en l'an 5535, les Juifs de Basrah se levèrent le matin pour découvrir que pas un seul des hommes de Karim Khan ne restait dans la ville. Leur joie fut grande; être si vite délivrés d'un ennemi si implacable tenait du miracle. Ils se rassemblèrent dans leur synagogue, rendirent grâces à Dieu pour ce dénouement providentiel, et décidèrent de célébrer chaque année ce jour comme "le Jour du Miracle".
Or, à cette époque un saint Rabbin et Kabbaliste de Terre Sainte, vint en visite à Basrah. Il était envoyé comme messager spécial par la communauté israélite de 'Hébron afin de demander une aide financière pour les pauvres et le besogneux de cette ancienne et sainte ville. Il se nommait Rabbi Jacob Elyachar. (Il fut le grand-père de Rabbi Jacob Saül Elyachar, 'Hakham Bachi (Grand-Rabbin} de Jérusalem, et auteur de nombreux Ouvrages et Réponses). Rabbi Jacob Elyachar composa une Méguilah spéciale pour les Juifs de Basrah, Méguilath Parass, qu'ils réciteraient dans la synagogue en ce "Jour de Miracle", et feraient suivre d'une Fête spéciale comportant des cadeaux aux pauvres, comme au jour de Pourim, Les Juifs de Basrah acceptèrent avec enthousiasme toutes ses suggestions, et les incorporèrent aux traditions de la communauté. Depuis, ils n'ont cessé d'observer le deuxième jour de Nissan comme un Pourim spécial, le Pourim de Basrah, ou Yom Haness.
Un Pourim de Prague, 17ème siècle.
L'histoire que nous allons vous conter nous ramène plus de trois cents ans en arrière, au ghetto juif de Prague en Bohème. C'était pendant la guerre de Trente Ans qui faisait rage entre les pays catholiques et protestants de l'Europe. Et, comme cela est toujours arrivé au cours de notre histoire, ce furent les malheureux Juifs qui en pâtirent le plus.
L'empereur Ferdinand II des Habsbourg dont les difficultés de trésorerie allaient croissant en raison des énormes dépenses nécessitées par la guerre, se tourna vers les banquiers et les négociants juifs de son pays afin qu'ils vinssent à son secours et le tirassent de l'impasse où il se trouvait. Ce qu'ils s'empressèrent de faire. En récompense, l'empereur accorda à ces Juifs de nombreux privilèges et des droits dont ils avaient été privés jus qu'alors. Une telle générosité ne manqua pas d'exciter la jalousie de la petite noblesse et du clergé qui, à partir de ce moment, n'ont de cesse qu'ils n'eussent trouvé un moyen de nuire aux Juifs.
Le nouveau gouverneur de Bohème, Rudolf de Wenceslaw, était parmi ceux que cette amitié témoignée par Ferdinand II aux Israélites indisposa particulièrement. Ces derniers formaient à Prague une communauté d'environ dix mille âmes, et jouissaient d'une excellente réputation. Le grand Rabbi Judah Lewaï (le "MaHaRaL") était mort. Mais son souvenir demeurait vivant dans les cœurs et dans les esprits. L'influence qu'il avait exercée sur les Juifs aussi bien que sur les non Juifs était intacte. Cela suffisait pour enlever au gouverneur la possibilité de provoquer facilement une révolte ou un pogrome contre le ghetto. Cela ne l'empêchait pas de patienter. Or, la patience venant à bout de tout, un événement survint en l'hiver de 1623 qui lui fournit l'occasion qu'il attendait depuis si longtemps.
Parmi les trésors royaux il y avait des tentures de brocart tissées d'or, œuvre d'un maître célèbre du Moyen Age. D'une valeur inestimable, elles étaient placées sous la surveillance du gouverneur qui en répondait vis à vis de la couronne. Ce dernier à son tour s'en remettait pour ce soin, délicat entre tous, à Hradek, le chambellan dont le rang se situait immédiatement au-dessous du sien.
Quand décembre vint, Hradek se mit, avec l'aide du personnel, à sortir de leur abri les riches et précieux objets en vue de préparer le palais pour les fêtes de la saison. Quand ils arrivèrent au coffre qui contenait habituellement la fameuse tenture de brocart ornant le salon de réception, il était vide! Rudolf apprit l'inquiétante nouvelle de cette disparition. Il était hors de lui.
- Si ces tentures ne sont pas retrouvées avant ce soir, hurlait il à ceux qui l'interrogeaient, vous serez tous jetés en prison.
- Puis je respectueusement suggérer, hasarda Hradek, que tous les monts de piété et tous les dépôts soient fouillés de fond en comble? Les magasins juifs devraient aussi être sérieusement surveillés, ajouta t il sournoisement.
- Voilà une excellente idée, Hradek, dit le Gouverneur que cette diversion détournait des soucis immédiats en lui offrant l'occasion d'opprimer ses ennemis du ghetto. Rudolf fit plus que ne l'avait suggéré son second. Il donna sur-le-champ des ordres afin que chaque maison, chaque magasin de Prague fussent perquisitionnés jusqu'à ce que les inestimables tentures fussent retrouvées. Toutes les entrées du ghetto furent bloquées, et sans un mot d'explication les hommes du gouverneur mirent sens dessus dessous chaque maison et chaque coin. Les Juifs étaient terrifiés.
Quand les investigateurs eurent atteint la grande maison et le magasin du conseiller patriarcal du ghetto, Enoch Altschul, ils perdirent toute mesure. Faisant irruption dans la demeure, ils ouvrirent tout grands placards et armoires, semant partout le désordre, jonchant le sol de leur contenu. Leurs recherches n'ayant donné aucun résultat, ils se saisirent du Juif épouvanté et le menaçant de leurs pistolets lui dirent :
- Montre-nous tes marchandises les plus précieuses ou nous te tuons sans pitié.
Le pauvre vieillard terrifié les conduisit dans son arrière boutique, et de là à une cachette secrète qu'il ouvrit. O surprise! Dans une caisse en bois, les hommes découvrirent sans peine un amas étincelant de tissus. Oui, c'étaient bien les précieuses tentures! Avec des cris de triomphe, ils s'en emparèrent, puis mettant le vieillard dans les chaînes ils reprirent le chemin du palais.
Fusils et pistolets pointés sur lui, le négociant et érudit juif traversa le ghetto que ce spectacle plongeait dans la stupeur et le silence, puis la foule surexcitée qui faisait la haie le long des rues de Prague:
Quand Enoch Altschul fut poussé à l'intérieur du palais, le gouverneur arpentait, soucieux, le grand salon de réception. Apercevant les tentures, un cri de soulagement s'échappa de ses lèvres. Et quand il apprit qu'elles étaient cachées dans le magasin du Juif, ses yeux brillèrent d'une lueur perverse. Ainsi le juif intègre a été pris comme un vulgaire voleur, ricanat il. Explique-toi, vieillard, si tu peux!
- J'ai donné ma parole d'honneur à un noble de votre cour, répondit calmement Enoch Altschul. Tant qu'il ne me déliera pas de ma promesse, je ne pourrai expliquer la présence de ces objets chez moi.
- Histoire vraisemblable, en effet, dit le gouverneur d'un ton sarcastique. Nous allons voir si les lanières de mes serviteurs te délieront plutôt la langue...A ces mots, Rudolf ordonna qu'on fouettât le Juif avec la dernière énergie. Il n'allait pas manquer cette occasion unique qu'il recherchait depuis qu'il avait été nommé gouverneur! Il haïssait les Juifs, et se réjouissait d'avance à la pensée que l'empereur se rendrait compte finalement de sa grande erreur en témoignant de la bonté à ce peuple ingrat.
Menace de Pogrome
Le soir venu, Enoch Altschul eut à se présenter de nouveau devant le gouverneur. Il avait été fouetté avec tant de brutalité qu'il n'arrivait plus à se tenir sur ses jambes. On le transportait étendu sur une civière. Cependant il s'obstina dans son silence.
- Je te donne jusqu'à demain matin à neuf heures, dit le gouverneur. Si tu ne te décides pas à révéler comment les tentures sont tombées entre tes mains, non seulement toi et toute ta famille serez pendus, mais je donnerai aussi l'ordre à mes troupes de mettre à feu et à sang le ghetto de Prague. Et s'adressant à ses hommes: emportez e maintenant; peut être finira t il par avoir assez de bon sens pour parler et épargner à ses coreligionnaires les malheurs qui les menacent.
Toute la nuit le pauvre Enoch Altschul se retourna sur sa couche en proie aux souffrances physiques et à une torture morale encore plus grande. Que devait il faire? Il priait de tout son cœur afin que le Ciel le guidât, et ce n'est que fort avant dans la nuit qu'épuisé, il céda à un sommeil agité.
Soudain, son maître et ami bien aimé, le Saint Maharal Rabbi Judah Lewaï, lui apparut, le rassurant aussitôt sur le déroulement futur des événements. Enoch s'éveilla plein d'espoir et s'absorba dans ses prières du matin jusqu'à ce que les gardes vinrent l'emmener, allongé sur la civière, auprès du gouverneur. Toute la cour se trouvait réunis dans la grande salle. Le gouverneur fit transporter Enoch Altschul jusqu'à la fenêtre qui surplombait la vaste place.
- Tu vois, dit il, ces hommes en armes? Ils n'attendent qu'un signe de moi pour se jeter sur le ghetto. Alors ils ne laisseront pas une seule maison debout.
Enoch frémit. Une pâleur mortelle se répandit sur ses traits à la pensée de cette horrible menace. Mais avant qu'il n'eût la possibilité d'ouvrir la bouche, un mouvement se fit et le chambellan Hradek s'avança.
Votre Seigneurie, dit il au gouverneur étonné. C'est moi le coupable. Ce noble vieillard garde le silence car il désire protéger votre honneur personnel.
Le gouverneur et les présents stupéfaits n'en pouvaient croire leurs yeux ni leurs oreilles. Abasourdis, ils écoutèrent alors que Hradek poursuivait :
Il y a plusieurs mois de cela, j'avais un besoin urgent de vingt cinq mille ducats d'or que j'avais perdu au jeu. L'idée me vint de porter ces tentures précieuses chez ce Juif qui m'avait aidé en de précédentes occasions en me prêtant de l'argent. Je rédigeais un papier en votre nom et y apposais votre propre cachet. Dans ce document était formulée la promesse que vous traiteriez les Juifs avec bonté si Enoch Altschul gardait le secret au sujet des tentures mises en gage. En revanche, la note menaçait des pires châtiments tout le ghetto si le vieillard laissait échapper un seul mot de l'affaire.
Toute la cour écoutait bouche bée. Pourquoi Hradek avait il décidé d'avouer, se demandait chacun. La réponse ne tarda pas à venir de la bouche même de ce dernier.
- J'aurais gardé le silence, persuadé que les tentures seraient retrouvées lors des perquisitions; et le Juif aurait supporté tout le poids de la faute et ses conséquences. Mais cette nuit j'ai fait un rêve... Un rêve terrifiant! Le défunt Rabbin du ghetto de Prague, Rabbi Judah Lewaï, m'est apparu, et avec lui le "Golem", cette horrible face de terre glaise. La même terreur qu'avaient éprouvée, il y a tant d'années, ceux qui essayaient d'accuser les Juifs de crimes qu'ils n'avaient point commis, m'envahit. Le Rabbin me dit: "Tu dois dire la vérité demain. Te voilà averti!".
Un Jour de Fête
A mesure qu'il parlait l'émotion de Hradek était devenue si intense qu'il avait porté la main à sa gorge comme s'il étouffait. Quand il eut fini, il s'écroula sur le sol. Hradek était mort après avoir tout avoué.
Le gouverneur n'avait d'autre choix que de libérer Enoch Altschul, et de donner des ordres afin que la foule impatiente et avide de sang fût dispersée et ne molestât point les Juifs. La tournure miraculeuse des événements causa à ces derniers, comme bien l'on pense, une joie sans bornes.
C'est le vingt deux Téveth que ce miracle eut lieu à Prague. Pendant de nombreuses années ce jour fut célébré par la famille Altschul et les Juifs de la ville comme "le Pourim des Tentures". Car en ce jour leur tristesse s'était muée en joie, comme au Pourim d'autrefois.
Pourim de Narbonne
Parmi les Pourim célébrés par des certaines communautés, il y en avait un connu sous le nom de Pourim de Narbonne, et qui fut célébré le 21 Adar. Voici ce qui arriva: C'était en l'an 4996 (1236). Un jour, entre un Juif et un pêcheur chrétien, une discussion éclata qui dégénéra bientôt en rixe. Un coup malheureux donné par le Juif coûta la vie à son adversaire. Il en résulta de terribles représailles contre la communauté israélite entière.
Des milliers de chrétiens furent interruption dans le quartier juif connu sous le nom de Ville Neuve, y mirent le feu et s'acharnèrent sur tout ce qui leur tomba sous la main. L'une des maisons attaquées par la foule fut celle du célèbre Rabbi Méir ben Isaac, qui relate le saccage de toute sa bibliothèque: les précieux manuscrits qu'elle contenait ne sont pas épargnés Fort heureusement, au plus fort de l'émeute, Don Aymeric, qui gouvernait la ville avec autant de justice que d'humanité, fit son apparition au quartier juif à la tête d'un grand nombre des soldats armés Il rétablit l'ordre, dispersa les assaillants et les contraignit même à restituer tout ce dont ils s'étaient appropriés par le pillage. Depuis cet événement tragique, mais où la communauté israélite avait, de justesse, évité le pire, ce jour fut célébré chaque année par les Juifs de la ville sous le nom de Pourim de Narbonne.
Et c'est grâce Rabbi Méir ben Isaac de Narbonne que cette histoire est parvenue jusqu'à nous. En effet, celui-ci témoin privilégié de l'assaut contre sa maison et de l'intervention providentielle de Don Aymeric, consigna le récit de ces événement à la fin d'un manuscrit d'Alfassi sur le traité Méguila, et indiqua qu'à la suite de cette événement la communauté juive de Narbonne institua un Pourim célébré le 21 adar, en souvenir de ce cette année 4996 du calendrier hébraïque (1236 de l'ère chrétienne).
Ce pourim était donc célébré moins d'une semaine après la commémoration du Pourim d'Esther.
Adapté de Le Pourim de Narbonne, David Kaufmann, Revue des Etudes juives, Tome 32 page 129
Pourim d'Oria.
Il y a de cela environ dix siècles, dans la petite ville d'Oria en Calabre (province du sud de l'Italie, célèbre pour ses Etroguime}, vivait une famille juive fort honorable. Elle avait donné pendant des générations des Rabbins et des chefs éminents à la communauté juive de cette ville.
De cette communauté, comme de cette famille, rien ne serait parvenu jusqu'à nous n'était l'heureuse initiative d'un descendant de celle-ci qui eut l'idée d'en écrire l'histoire. Il se nommait A'himaatz ben Paltiel, et sa chronique date de l'an 4814 (1054}. Elle relate la vie de dix générations d'ancêtres illustres de l'auteur. S'ouvrant avec Rabbi Chefatiah, elle se poursuit avec son frère Rabbi 'Hananel, Rabbi Amitai (fils de Chefatiah}, Rabbi Paltiel (petit-fils de Chefatiah}, Rabbi Samuel (fils de Paltiel} et d'autres.
L'auteur était l'arrière-petit-fils de Rabbi 'Hananel déjà cité, qui est le héros de notre récit.
Rabbi 'Hananel, éminent érudit en Torah, était respecté non seulement par la communauté qu'il dirigeait, mais aussi par les non Juifs. l'archevêque lui même qui gouvernait la province, le tenait en haute estime. Il lui rendait souvent visite, ou l'invitait à son palais, afin de discuter de religion avec lui. Rien d'étonnant qu'il fût convaincu de la supériorité de la foi chrétienne; aussi nourrissait-il le secret espoir d'amener un jour le grand érudit juif à le reconnaître. Mais jusque Ià, à son grand regret, il n'y avait pas réussi; au contraire, c'était le Rabbin qui, à chaque discussion, marquait des points. Tenace, l'archevêque ne renonçait pas pour autant à son rêve. Quant à Rabbi 'Hananel, loin de rechercher ces rencontres, il faisait de son mieux pour les éviter. Pourtant il ne pouvait les interrompre. Il fallait ménager le puissant archevêque qui tenait entre ses mains le sort de la communauté juive toute entière.
Le Prochain Molad!
Un jour, au cours de ces conversations, le prélat aborda la question du calendrier juif et demanda au Rabbin si, se basant sur ses propres calculs, il pouvait lui dire séance tenante avec exactitude quand aurait lieu le Molad suivant (première apparition de la nouvelle lune dans le ciel}.
Comme on le sait, les calendriers imprimés, tels que nous les avons aujourd'hui, n'existaient pas alors. Aussi l'archevêque désireux de tendre un piège au Rabbin, avait-il mis à profit ses propres connaissances en astronomie et en mathématiques pour faire ces calculs. la réponse précise, il la possédait donc déjà. Cela lui assurait un avantage sur son interlocuteur que délibérément il prenait au dépourvu. Car le Molad n'étant pas attendu avant plusieurs jours, Rabbi 'Hananel n'avait pas encore fait ses calculs.
Sans toutefois se décontenancer, il effectua ses calculs séance tenante et, soucieux de ne pas trop faire attendre l'archevêque, il ne procéda pas aux vérifications qui s'imposent toujours en pareil cas, et donna sa réponse, c'est-à-dire l'heure et la minute de la prochaine apparition de l'astre dans le ciel.
Quelle ne fut pas la joie du prélat quand il constata que par rapport à son propre résultat, sur lequel il n'avait aucun doute, le Rabbin cette fois s'était trompé! L'occasion qu'il attendait patiemment depuis si longtemps se présentait; il n'allait pas la laisser passer sans en tirer tout l'avantage possible.
- Mon cher Rabbin, dit-il, te voilà enfin pris en flagrant délit d'erreur. Je vais te proposer un pari qu'honnêtement tu ne saurais refuser. Nos calculs respectifs ont donné deux résultats différents. Chacun de nous est sûr du sien. Bien entendu - et les faits le prouveront- un seul de nous deux a raison. Voici donc les conditions de notre pari: si ce sont mes calculs qui sont exacts, tu t'engages a reconnaître publiquement la supériorité de ma religion sur la tienne. Si, au contraire, c'est toi qui es dans le vrai, je m'engage à te faire présent, à ton choix, soit d'un beau cheval valant trois cents pièces d'or, soit de la somme même. Une seule preuve suffira, et elle sera de ce fait indispensable: l'apparition concrète, visible, de la lune. J'y insiste: visible.
Tout cela déplut fort à Rabbi 'Hananel qui n'avait que faire de toutes ces discussions, de ces défis et encore moins de ce stupide pari. Mais le prélat, gouverneur de toute la province, ne lui en laissait pas le choix; et il ne pouvait, sans l'indisposer gravement, refuser sa proposition qui avait plutôt l'air d'un ordre. Force lui fut donc d'accepter. L'archevêque tint à ce qu'un document officiel fût rédigé sur-le-champ pour la circonstance, et ce devant les magistrats de la cour. On ne s'entoure jamais d'assez de précautions, et il était si sûr de confondre celui qui, contraint et forcé, devenait son adversaire. Le coeur lourd, Rabbi 'Hananel entra en hâte chez lui. Il alla directement dans son cabinet de travail, refit ses calculs, les vérifia à plusieurs reprises, et fut atterré de constater qu'en effet il s'était trompé. L'archevêque avait raison.
Jeûnes et Prières
Rabbi 'Hananel demanda aux chefs de la communauté de proclamer avec lui un jeûne général accompagné de prières ferventes. Les Juifs dans leur ensemble répondirent d'un seul élan. La situation était grave, voire désespérée; seul un miracle pouvait les sauver. Il jeûnèrent et prièrent de tout leur coeur, de toute leur âme.
La nuit vint où, selon les prévisions, la Nouvelle Lune devait paraître. Savourant à l'avance son triomphe imminent, l'archevêque monta sur une terrasse élevée de son château afin d'observer la première apparition de l'astre dans le ciel. Mais il ne lui suffisait pas de constater seul que ses calculs étaient exacts. Aussi avait-il pris la précaution de poster, en différents points de la ville, des observateurs experts en la matière. Sa victoire ne serait totale que si des hommes de science lui apportaient le poids de leur témoignage irrécusable.
De son côté, Rabbi 'Hananel monta lui aussi sur la terrasse de sa maison. Plein d'angoisse et incapable de retenir ses larmes, il supplia le Tout-Puissant d'accomplir un miracle. La nuit était claire, et le ciel sans nuages. A travers l'air immobile et limpide les étoiles scintillaient. Les minutes s'écoulaient et, tandis que le moment de l'apparition de l'astre approchait, Rabbi 'Hananel, le coeur débordant de ferveur, mettait sa foi entière en Dieu. De leur côté, tous les Juifs de la communauté priaient et demandaient eux aussi au Tout Puissant un miracle qui pouvait, même au dernier moment, les sauver.
Le Miracle
Soudain des nuages, insolites en cette période de l'année et venus d'on ne sait où, parurent dans le ciel. S'épaississant à vue d'oeil, il le couvrirent, et bientôt le dérobèrent complètement à la vue. Dieu avait répondu aux prières du Rabbin et de tous les Juifs d'Oria. Toute cette nuit là, le ciel demeura caché totalement. Le lendemain, comme ils en avaient convenu, Rabbi 'Hananel se rendit chez l'archevêque. Il y trouva rassemblés tous les notables et les personnalités officielles de la province. Ils avaient été invités par le prélat pour assister au triomphe que ce dernier tenait pour assuré, et du même coup à la défaite du Rabbin, que l'archevêque voulait rendre la plus manifeste et la plus humiliante possible. Toute l'assistance était impatiente d'entendre la déclaration de ce dernier. Enfin, se tournant vers le Rabbin, il dit :
- Honorable Rabbi 'Hananel! Tu sais aussi bien que moi que cette fois la vérité était de mon côté et ma victoire certaine. Mais ton Dieu, votre Dieu, décidé à t'aider, S'est sans nul doute mis de la partie. De mémoire d'homme, cela ne s'est vu qu'en cette période d'année, en cette partie du monde, le plus léger nuage vînt troubler la pureté et la transparence admirables de nos cieux. Et voilà qu'au moment où la Nouvelle Lune devait à coup sûr apparaître, ton Dieu a jugé bon de couvrir le ciel de nuées épaisses, me privant de la preuve rendue nécessaire par les conditions mêmes de notre pari. Selon les termes de l'accord intervenu entre nous et rédigé par nos honorables magistrats, je n'ai donc d'autre choix que de te payer. Voici la somme promise; je suis sûr que tu feras le meilleur usage de ces trois cents pièces d'or.
Rabbi 'Hananel poussa un profond soupir. De quel poids terrible son coeur se sentait soulagé! Il se hâta de porter la nouvelle à ses frères, dont la joie, on s'en doute, fut aussi grande que la sienne. Puis il remit les trois cents pièces d'or aux dirigeants de la communauté afin qu'elles fussent distribuées aux pauvres et aux besogneux. Après tout, cet argent avait appartenu aux Juifs et ne faisait que leur revenir. N'avait-il pas été puisé dans les lourds impôts dont l'archevêque depuis si longtemps les accablait?
Les voies de l'Eternel sont étranges. Il avait apporté dans leurs vies une si vive clarté, et juste par le moyen des noires nuées qui avaient obscurci le ciel. C'était, pour les Juifs d'Oria, comme un autre Pourim, puisqu'ils avaient été sauvés d'un autre Haman qui ressemblait au premier comme un frère. Sauvés de la même manière que le furent au temps de Mordekhaï et d'Esther les Juifs de Perse. Le Tout-Puissant avait déjoué les plans de ce Haman comme Il avait déjoué ceux du premier.
Et en effet, pendant de longues années, les Juifs d'Oria se souvinrent avec reconnaissance de cette délivrance miraculeuse en donnant à ce jour le nom de "Pourim Oria".
Pourim de Castille
C'était au temps du roi Alphonse XI qui régna sur la Castille il y a six siècles et demi, et dont le pouvoir s'étendit jusqu'à Tolède et Séville, Cordoue, Malaga et d'autres provinces espagnoles.
Un jour, un Juif de noble lignée, nommé Don Joseph ben Ephraïm Halévi Benveniste, arriva en Castille. Fort cultivé, doué d'une grande sagesse, très beau et de manières parfaites, il avait, de surcroît, un talent marqué pour la musique. Tant de mérites unis à tant de vertus ne pouvaient laisser indifférents ceux qui le connurent. Il forçait l'admiration de tous.
Le roi l'invita au palais et fut, lui aussi, conquis. Il ne se passa pas beaucoup de temps avant qu'il ne voie tout l'intérêt qu'il aurait à en faire son Ministre des Finances et son conseiller intime. Don Joseph devenait ainsi, après le souverain, l'homme le plus puissant d'Espagne. Il possédait un splendide carrosse et s'en servait pour ses déplacements, accompagné d'une suite imposante de chevaliers et de jeunes nobles qui constituaient sa garde personnelle. Parmi ceux-ci, il y en avait un nommé Gonzalo Martinez, un ambitieux sans scrupules qui ne ménageait aucun effort pour gagner la faveur de son maître. Il fit tant et si bien que Benveniste le nomma à une fonction importante à la Cour. L'habile courtisan ne tarda pas à devenir le favori du roi lui-même. Don Joseph n'était pas le seul grand personnage juif à la Cour. Il y en avait un autre; c'était Samuel ibn Wakar, médecin du roi et astronome éminent. L'un et l'autre excitaient la jalousie de Gonzalo qui décida un jour de provoquer leur chute.
Avec des protecteurs si haut placés à la Cour, les Juifs d'Espagne se sentaient en sécurité; ils vivaient heureux. Ils mettaient leur foi exclusive en Don Joseph et en Samuel - parce que l'un était Ministre des Finances et l'autre médecin du roi- oubliant qu'un tel sentiment n'est dû qu'à Dieu seul. Des jours sombres se préparaient pour le pays. De l'autre côté du détroit qui séparait l'Espagne de l'Afrique, à quelques kilomètres à peine de distance, les Maures menaçaient d'envahir le royaume. Une guerre inévitable éclata qui vida les caisses du Trésor.
Les difficultés commencèrent. Gonzalo suivait avec attention la situation qui s'aggravait de jour en jour. Il attendait son heure; elle vint. Les armées espagnoles essuyaient défaite après défaite. Un jour, à la suite de nouveaux revers qui rendaient tout espoir vain, le courtisan dit au souverain: "Majesté, vous avez grand besoin d'argent. Je peux vous procurer les sommes nécessaires à la poursuite de la guerre contre les Maures".
- Quelle est votre idée? demanda le roi d'un ton las. De lourds impôts accablent déjà mes sujets. Gonzalo ne se perdit pas dans d'inutiles discours. en quelques phrases précises il dévoila son plan, "S'il plaît à votre Majesté de me vendre dix Juifs, je les paierai huit cent livres d'argent!".
- Et quels sont ces dix Juifs, demanda le roi.
- Le premier est Joseph Benveniste qui a ruiné le pays et vidé les caisses du Trésor. Le second, Samuel ibn Wakar dont les mauvais conseils vous ont conduit à cette impasse. Les huit autres sont les plus riches de leur communauté. Dans un moment si critique, leur devoir leur commandait de mettre leur fortune à la disposition de leur souverain, mais ils ne l'ont pas fait.
Et soulignant sa proposition de mensonges habiles et circonstanciés, Gonzalo acheva de discréditer ceux qu'il jalousait et arracha au roi son consentement. Et sans tarder, il passa aux actes. Ils furent odieux.
Les Mauvais Jours
Accusé par ses soins de malversations et de haute trahison, Don Joseph fut jeté en prison. Déchu du rang qu'il occupait, tous ses biens furent confisqués. Il traîna quelque temps dans un cachot perdu de Tolède; sa santé n'y résista pas et, l'accablement moral aidant, il ne tarda pas à mourir. Quand le roi l'apprit, il donna l'ordre qu'on transportât le corps de son ancien favori à Cordoue où on l'inhuma avec de grands honneurs. Il exempta de tous les impôts dus à la couronne la veuve et ses enfants; mais il ne fit pas obstacle au plan de Gonzalo. Le second geste de ce dernier fut de faire arrêter Samuel ibn Wakar et ses deux frères. Suivit aussitôt la confiscation de leurs biens. Samuel, jeté en prison, fut torturé. Il eût pu avoir la vie sauve s'il avait consenti à abjurer sa foi. Il préféra la mort. Son corps fut gardé un an avant d'avoir droit à la sépulture.
Ayant ainsi supprimé les deux grands hommes d'Etat, Gonzalo devint Premier Ministre, le personnage le plus puissant du royaume après le roi. Accusations et menaces commencèrent à s'abattre sur les Juifs les plus en vue du pays. Grâce à quoi Gonzalo leur extorqua de très grosses sommes d'argent. En Castille, comme dans toutes les provinces sur lesquelles régnait Alfonso, la vie de chaque Juif devint précaire; ils étaient tous à la merci d'un caprice de Gonzalo dont les décisions arbitraires unies à une grande cruauté les glaçaient d'horreur.
Alors, dans le ciel jusque Ià plongé dans les ténèbres, l'étoile de Rabbi Moché Abravalia, grand poète doublé d'un écrivain remarquable, se mit à briller. Le roi le prit en amitié. Don Moché en profita pour intercéder en faveur de ses frères que Gonzalo continuait à persécuter avec acharnement. Mais les Maures, dont l'invasion menaçait toujours le royaume, préoccupaient trop le souverain pour qu'il prêtât une oreille attentive aux propos de Rabbi Moché.
Entre-temps, un conseil de guerre fut réuni. Gonzalo, premier ministre et conseiller du roi, requit l'expulsion des Juifs et la confiscation de tous leurs biens au profit de la Couronne. Suivant l'exemple de Haman, son triste prédécesseur, il accabla ceux qu'il haïssait des accusations les plus mensongères et demanda qu'on n'eût aucune pitié des hommes, des femmes ni des enfants. Avec l'argent ainsi recueilli, le souverain pourrait continuer sa guerre et sauver le royaume.
Le roi ne répondit pas, mais demanda leur avis aux autres conseillers. La plupart soutinrent la requête de Gonzalo; mais pas tous. Une voix contraire se fit entendre. Le doyen du Conseil parla en faveur des Juifs. "Ils ont toujours été des sujets loyaux, dit-il. Qui, dans le pays, paie plus d'impôts qu'eux? Les chasser, c'est tout simplement tuer la poule aux œufs d'or!". Aucune décision fut prise. Le mieux était d'attendre le résultat de la bataille prochaine contre les Maures. Il serait toujours temps de s'occuper des Juifs.
Rabbi Moché eut connaissance du grave danger qui menaçait ses frères. Il avertit toutes les communautés israélites et les engagea à se rassembler dans les Synagogues afin d 'adresser à Dieu leurs prières et de clamer leur repentance. La nouvelle provoqua la consternation générale. On pleura, on se lamenta. Chaque Juif du royaume jeûna et pria de tout son cœur. Et Dieu écouta les prières qui montaient si vives, si sincères vers Lui.
Le vent tourne
Pendant ce temps, Gonzalo se lançait avec les troupes royales au devant des Maures. Après une bataille féroce qui dura un jour entier, ceux-ci essuyèrent une sanglante défaite. Ils fuirent en désordre, laissant sur le terrain dix mille morts, dont leur général en chef.
Fier et triomphant, Gonzalo regagnait la capitale à la tête des armées victorieuses. "Le roi m'écoutera maintenant, songeait-il avec orgueil, bientôt il n'y aura plus un Juif dans le pays!". Il eût dominé le monde, que sa joie n'aurait pas été plus débordante. Il jubilait. Mais il ne savait pas qu'il n'avait gravi tous les échelons de la puissance et de la gloire que pour tomber de plus haut, et que sa chute n'en serait que plus spectaculaire.
La nouvelle de la victoire parvint au roi. Pour un temps, il allait être tranquille, Gonzalo l'avait débarrassé de la menace que faisaient peser ses ennemis sur son royaume. Mais ne fallait-il pas maintenant se méfier du trop puissant Gonzalo? Sur le conseil de Rabbi Moché, il dépêcha un messager. Ordre était donné à Gonzalo de se présenter le plus tôt possible devant son souverain; l'armée, plus lente, pouvait suivre sous le commandement d'un autre général. Mais le premier ministre, soupçonnant quelque revirement défavorable, refusa d'obéir. A la tête d'un régiment d'élite, il occupa une forteresse et s'y enferma, bravant son roi et le défiant d'aller l'en déloger.
Ce dernier donna l'ordre de raser la forteresse et d'écraser la rébellion. Le refuge fut incendié et Gonzalo finit par se rendre.
Le cruel assassin, qui n'avait eu de pitié pour personne, maintenant demandait grâce.
Sourd à ses prières, le roi ordonna qu'il soit décapité et qu'on livrât publiquement son cadavre aux flammes.
Ce fut un jour de grande réjouissance pour les nombreux citoyens soucieux de vivre en paix, et surtout pour les Juifs. Gonzalo, dont les efforts visaient à leur anéantissement, venait de connaître une fin tragique.
Ce jour-là - c'était au mois d'Adar - les Juifs de Castille le désignèrent comme un jour de réjouissance et d'actions de grâces, qu'ils s'engagèrent à observer chaque année aussi longtemps qu'ils demeureraient dans ce pays. Ils l'appelèrent "Pourim de Castille". Les Juifs d'Espagne le célébrèrent en plus du Pourim que fêtaient tous les Juifs du monde en souvenir de la chute de leur grand ennemi Haman, quand Dieu substitua la joie à la désolation et la lumière aux ténèbres.
LE MIRACLE DE LA BOMBE
Parmi les Pourim spéciaux qui ont été célébrés par des communautés juives différentes en souvenir d'une délivrance miraculeuse, il y en a un que célèbre la communauté israélite de Fossano. Cette petite ville d'Italie septentrionale est située au pied des Alpes, non loin d'un col reliant ce pays à la France.
L'histoire que nous allons vous conter eut lieu au printemps de l'an 5556 (1796). Epoque troublée par la guerre. La France vivait sa grande révolution, et l'Italie était le champ de bataille où s'affrontaient les armées française et autrichienne.
Un jeune général de 27 ans, Napoléon Bonaparte, avait été nommé commandant en chef de l'armée française d'Italie On espérait qu'il donnerait un regain de vigueur à cette campagne; et l'on ne se trompait pas, car sous l'impulsion de ce nouveau chef, les Français ne tardèrent pas à remporter victoire sur victoire.
Juste avant Pessa'h, ils mirent le siège devant Fossano qu'ils commencèrent à bombarder. Il en résulta des dommages considérables et un grand nombre de blessés. Mais, bien que la situation fût plutôt désespérée, la ville ne se rendit pas.
Vint Pessa'h. malgré le siège les Juifs étaient résolus célébrer leur Fête de libération dans la joie. Pessa'h était toujours une période d'anxiété pour les Juifs; même en temps normal la haine de leurs voisins chrétiens montait, l'occasion était propice à toutes sortes d'accusations aussi violentes que fantaisistes dont la plus grave celle du meurtre rituel, rendait les Juifs responsables d'utiliser du sang chrétien pour leurs Matsot Tous les prétextes, même les plus ridicules, étaient bons pour déclencher les attaques d'une populace déchaînée. Cela n'empêcha pas les Juifs de célébrer, comme il se devait, cette fois aussi, les deux nuits de Sédère et les deux premiers jours de la fête.
La colère de leurs compatriotes non Juifs ne connut pas de bornes. N'était ce pas là la preuve la plus irréfutable que les Israélites se réjouissaient des succès de l'ennemi? Le bruit courut aussitôt qu'ils sympathisaient avec lui; peut-être même l'aidaient-ils en secret,
Conscients du péril, les chefs de la communauté Juive firent appel à la protection des Doyens de la ville Mais ceux-ci étaient trop absorbés par les soucis qu'occasionnait le siège; de plus, ils ne pouvaient soustraire pour protéger le ghetto aucun des soldats chargés de la défense de Fossano.
Réfugiés dans la Synagogue
Vint la seconde nuit de 'Hol Hamoède. L'ennemi reprit ses bombardements, mais il semblait le faire, cette fois, avec une intensité accrue Malgré cela, aucune bombe ne tomba sur le ghetto juif. Il faut préciser que c'était une rue longue et étroite, proche des murs extérieurs; les projectiles meurtriers volaient par-dessus et allaient tomber plus loin sur la ville le prétexte était ainsi tout trouvé le ghetto épargné, ceci ne pouvait s'expliquer que par la trahison des Juifs. Il est vrai que la victoire sur les Français, aucun homme sensé ne l'aurait espérée. Sur les Juifs sans défense, elle était autrement plus aisée...
Brandissant toutes sortes d'armes, la populace se rua sur le quartier juif. Elle n'y rencontra aucune opposition; les Israélites avaient abandonné leurs foyers et s'étaient réfugiés dans la Synagogue où, bien que plus faibles en nombre, ils étaient résolus à se défendre. Ils savaient qu'ils n'avaient aucune chance de I emporter sur leurs assaillants, ils se mirent à prier afin qu'un miracle survînt, qui les sauverait du massacre
Entre temps, la populace avançait dans le ghetto, brisant les portes des maisons et des boutiques, pillant et détruisant ce qu'elle ne pouvait emporter. Mais pour que sa satisfaction fût complète, il lui fallait couronner toutes ces violences par l'effusion de sang juif les assaillants progressaient le long de la rue, au bout de laquelle se trouvait la Synagogue.
La Bombe Salvatrice.
La Synagogue était située au premier étage. Un escalier étroit menait à un petit vestibule qui la précédait. Là, au fond, la petite communauté juive s'était entassée dans l'attente de l'assaut inévitable les assaillants déchaînés se pressaient déjà sur les marches de l'escalier; certains d'entre eu avaient même atteint le vestibule.
Soudain, on entendit le bruit assourdissant d'une violente déflagration Une bombe lancée par les assiégeants français avait traversé le mur de la Synagogue et avait explosé dans le vestibule, juste devant les assaillants. Frappés de terreur, ils tournèrent les talons dans une bousculade indescriptible. Beaucoup d'entre eux, ne pensant qu'à sauver leur peau, lâchèrent le butin qui les embarrassait et ralentissait leur fuite. Pour les Juifs de Fossano, ce fut un merveilleux miracle qui les sauvait d'une mort certaine. Peu après, la ville tombait aux mains des Français, ce qui éloignait tout danger pour les Juifs Les chefs de la communauté juive décidèrent que le second jour de Hol Hamoède Pessa'h serait observé chaque année par les Juifs de Fossano en l'honneur du Tout Puissant pour célébrer l'extraordinaire miracle de la bombe De plus, il fut décidé que le trou béant fait par celle-ci dans le mur ne serait pas bouché, mais qu'on le transformerait en fenêtre, autour de laquelle une inscription hébraïque en lettres d'or attesterait ce qu'on appela désormais "le Miracle de la Bombe".
Pourim Spiel à Chipoli
Traduit de Sippourei 'Hassidim, Rav Chlomoh Yossef Zevin
Le Rabbi Tsadik de Chipoli, qu'on appelait le Saba de Chipoli (le "Grand-père" de Chipoli, ou Chpoïler Zeidé) organisait souvent un Pourim Spiel, jeu de Pourim", au cours du quel était nommé un "Roi de Pourim" ou un "Juge de Pourim", voire un "Rav de Pourim", qui avait ce jour tous les honneurs dus à son titre et prenait toutes décisions auxquelles sa fonction lui donnait le droit … pour la journée. Comme dans beaucoup de communautés, d'ailleurs.
Mais chez le Saba de Chipoli, ce n'était pas toujours une blague. Les décisions prises ce jour, chez le Rabbi, venaient au secours d'un des membres de la communauté, parfois de la communauté tout entière: annulation d'un jugement, d'un décret, guérison…
Cette année là, Mendel avait des ennuis.
D'origine roumaine, il avait émigré en Russie de longue date, et résidait à Kichinev. C'est là que le long bras de la justice l'avait rattrapé, et il avait été accusé par un de ses anciens compagnons de Roumanie d'avoir trouvé et gardé pour lui un coffre d'or appartenant au royaume roumain, puis de s'être sauvé en Russie pour jouir paisiblement de son forfait. Rien n'était vrai, sinon que la haine de son ancien compagnon. Un mandat d'arrêt avait été émis par le gouvernement roumain, pour faire juger Mendel en Roumanie. Mais la justice russe ne l'entendait pas de cette oreille, pour laquelle cet émigré devenu citoyen russe ne pouvait être jugé qu'en Russie, en présence d'une délégation roumaine.
Averti de la procédure, Mendel s'en fut présenter ses soucis au Saba de Chipoli.
- Ne te fais pas de soucis. Efforce-toi simplement que le procès se tienne le jour de Pourim. N'envoie pas d'avocat, je m'occuperai de t'envoyer moi-même quelqu'un qui plaidera pour toi.
- Et que devrai-je donner à cet avocat?
Le Rabbi expliqua à Mendel qu'il avait actuellement une jeune orpheline à marier, et qu'il avait besoin pour cela de trois cent roubles. En échange de quoi il s'occuperait lui-même de dédommager l'avocat.
Le Rabbi lui recommanda aussi de préparer un pouvoir pour son avocat. Il le reconnaîtrait à son habit, un chapeau blanc et des gants rouges. Mendel versa immédiatement trois cent roubles au Rabbi, qui les consacra immédiatement au mariage de la jeune fille.
Un mois avant Pourim, Mendel reçut une convocation à se présenter au procès avec ses témoins, qui se tiendrait le jour de Pourim.
Mendel le fit savoir au Rabbi par un délégué, chargé également d'apporter au Rabbi une forte somme d'argent à distribuer aux pauvres à l'occasion de Pourim.
Le jour de Pourim, le Rabbi convoqua un "procès de Pourim", où tous devraient se présenter déguisés ou grimés pour l'occasion.
Le Rav de la ville fut nommé Juge, deux érudits étaient les assesseurs. Un autre fut désigne comme le procureur roumain, le visage noirci au charbon, et tous devaient éclater de rire à la moindre de ses paroles. D'autres figuraient Mendel, ses témoins, le délateur.
Le Rabbi lui-même prit le rôle de l'avocat. Il couvrit son Shtreimel d'un mouchoir blanc, revêtit des gants rouges, et le procès commença à huis clos.
Le Juge Suprême lut l'acte d'accusation, puis le représentant roumain présenta les faits, au milieu d'un chahut d'écolier digne de Pourim. Le délateur vint ensuite confirmer ses propos, dans le même brouhaha.
Vinrent ensuite les deux témoins de Mendel, qui attestèrent que cet homme était venu demander un prêt à Mendel, qui lui avait refusé, et qu'il l'avait alors menacer par tous les moyens.
La parole fut ensuite donnée à la défense, le Saba de Chipoli. Dans un discours habile, le Rabbi démonta l'accusation, le personnage même du dénonciateur, les fautes de procédure. Il rappela qu'aucun des grands journaux roumains ne faisait état de la perte d'un trésor d'état ni même d'une malle précieuse, puis prouva que le droit roumain n'obligeai pas le détenteur d'un bien trouvé à le déclarer, et lui en conférait la pleine propriété.
Lorsque le Rebbe eut fini son discours, le Juge se leva et déclara Mendel innocent de toute charge. Le procureur roumain fut expulsé manu militari au milieu des quolibets, et partit en courant se débarbouiller pour retrouver la troupe et chanter avec tous les 'Hassidim réunis autour d'une table de fête.
Tard dans la soirée, un télégramme arriva de Kichinev qui annonçait au Rabbi que Mendel avait été acquitté, et prenait la route pour Chipoli.
Quelques jours plus tard, Mendel arriva. Il raconta aux 'Hassidim la journée du procès, et répéta mot à mot le discours brillant de l'avocat aux gants rouges envoyé par le Rabbi. L'assistance était stupéfaite: c'était exactement les mots du Rabbi lors du simulacre de procès!
Lorsque Mendel fut reçu par le Saba de Chipoli, celui ci lui demanda:
Alors comment était mon avocat?
Un excellent avocat, et tous ont apprécié sa plaidoirie. Surtout que j'en suis sorti innocenté.
Saches que cet avocat est un ange envoyé du ciel. Il a été créé par la bonté que tu as faite à cette orpheline, et il plaidera à nouveau pour toi lorsque tu arriveras au tribunal là haut. Ainsi est le mérite de la charité dans ce monde et dans le monde de vérité.
UN HAMAN DE MOINS
Rabbi Leïb, fils de Sarah, vécut en Pologne il y a environ deux siècles.
Il avait l'habitude d'errer de ville en ville et d'un village à l'autre où souvent pour les habitants il n'était qu'un inconnu. Il aimait à jouer avec les enfants et à leur apprendre des choses. Partout où les Juifs avaient des ennuis, on était sûr de le trouver, prêt à leur venir en aide. On raconte beaucoup d'histoires merveilleuses sur ce saint homme à qui l'on prêtait le pouvoir de réaliser des miracles.
Un jour, lors d'une visite de Rabbi Leïb à la foire de Berditchev, un Juif vint d'une ville voisine pour lui demander son aide. la communauté de Kobrin d'où il arrivait, traversait une période de grande détresse morale. Le maître de la région, un Comte polonais, qui s'était montré très bon à l'égard des Juifs, venait de mourir. Ces derniers devaient à sa générosité de n'avoir jamais payé ni loyers pour leurs maisons, ni impôts sur les terrains où s'élevaient leurs constructions. Le fils qui succéda au Comte défunt, était au contraire un homme très dur qui haïssait les Juifs.
Aussitôt maître du comté, il exigea des Juifs de Kobrin non seulement le paiement des loyers et les impôts pour les maisons et la Synagogue construits sur ses terres, mais aussi les arriérés pour les années écoulées. Et pour donner le poids à ses réclamations, il menaça, en cas de non exécution, de chasser tous les Juifs de la ville, de détruire leur Synagogue, et même, si besoin en était, de déterrer leurs morts du cimetière.
Ce fut la triste histoire que conta à Rabbi Leïb le délégué de Kobrin, un noble Juif d'une grande piété, dont le nom était Benjamin, et que le saint Rabbi connaissait bien.
- Je te verrai demain à la Synagogue de Kobrin, dit celui-ci au messager qui prit congé et s'en retourna chez lui.
La Visite au Comte
Cette nuit là, Rabbi Leïb apparut au jeune Comte à l'intérieur de son château. Quand ce dernier fut revenu de la surprise causée par cette soudaine apparition, il voulait savoir combien d'argent Rabbi Leïb lui apportait; et il l'avertit qu'il n'était pas d'humeur à marchander.
"- Je suis venu vous prier de faire grâce à mes frères juifs des impôts que vous leur réclamez, car ils sont très pauvres. Usez à leur égard de la même bonté que votre noble père, et vous ne le regretterez pas. Il prieront toujours pour votre santé et le succès de vos entreprises, plaida Rabbi Leïb.
- Je n'ai que faire de vos prières, répondit le Comte que la colère gagnait; c'est votre argent que je veux. Et il réitéra ses horribles menaces.
- Quel avantage aurez-vous en ruinant la ville ? Encore si ce n'était que la ville, car, à travers elle, c'est sur toute la campagne alentour que retentira ce malheur. Comment les paysans pourront-ils vous payer leurs impôts ?
Le Comte réfléchit un moment, puis il dit: "Peut-être as-tu raison. Je vais te proposer un marché, mais promets-moi qu'en dehors de nous deux, nul n'en aura connaissance. Si tu trahis ce secret, je ferai couper la tête à tous les Juifs soumis à mon autorité.
Rabbi Leïb voulut connaître les conditions du "marché". Il promit de n'en souffler mot.
- Bien! Nous autres, Polonais, commença le Comte d'une voix radoucie, nous nous rattrapons sur vous, Juifs sans défense, des souffrances que nous ont infligées et nous infligent encore les Russes. Tu ne seras donc pas étonné d'apprendre que nous préparons dans le plus grand secret une rébellion. Aidez nous; et une fois l'oppresseur chassé du pays, nous vous traiterons comme des frères. Tu as de l'influence sur tes coreligionnaires; persuade les de se joindre à nous, et tous leurs ennuis disparaîtront.
- Cela est impossible, répondit Rabbi Leïb sans hésiter. Nous, Juifs, avons toujours été de pacifiques citoyens; nous ne participerons pas à une révolte contre le pouvoir central. Nous demandons toujours la paix dans nos prières, et nous abhorrons l'effusion du sang.
- Hors d'ici! hurla le Comte perdant toute contenance. Mais souviens-toi: je chasserai les Juifs comme des chiens enragés non seulement de Kobrin, mais aussi de toutes les villes et villages placés sous mon autorité !
- Cela n'arrivera jamais, dit Rabbi Leïb, car notre Père Céleste aura pitié de nous.
Le lendemain, un vendredi, Rabbi Leïb rencontra Benjamin à la Synagogue. Après les prières du matin, il lui dit d'emporter du vin et des 'Halloth, et de se diriger vers les bois.
"Avant le coucher du soleil, ajouta-t-il, tu atteindras une cabane où vit un Juif nommé Jacob. Dis lui que je t'envoie, et qu'il faut qu'il sauve les Juifs de Kobrin". Benjamin partit à pied, conformément aux instructions de Rabbi Leïb. Mais très vite il s'égara dans les bois. Il erra sans trouver son chemin, angoissé par la crainte de ne pas rencontrer le fameux Jacob.
Le Fabricant de Balais
Le soleil était déjà bas quand, soudain, il aperçut une petite cabane au plus profond de la forêt. Il s'y dirigea. La vue d'une collection de balais tout neufs sur le seuil lui fit comprendre qu'un fabricant de balais y logeait. Peu après, il vit une Juive frêle sortir de la cabane.
- Rabbi Jacob demeure-t-il ici ? s'enquit Benjamin.
- Je ne sais qui vous cherchez. Ici, c'est la maison de Jacob, le fabricant de balais. Mais il n'est pas un Rabbin. Au fait, le voilà qui arrive.
Un homme parut, vêtu comme un paysan; il tenait un fagot de brindilles de bouleau fraîchement coupées. Le posant à terre, il serra la main du visiteur en lui disant: "Chalom Aleikhem".
Benjamin se demandait s'il ne commettait pas une erreur. Quand il fut seul avec l'inconnu, il lui révéla le but de sa visite. Ce dernier, en entendant prononcer le nom de Rabbi Leïb, pâlit et se leva. Ecoutant sans mot dire la triste histoire qu'on lui racontait, il poussait de temps en temps un profond soupir. Son anxiété était évidente.
- Le saint Chabbath n'est pas loin, dit-il enfin. Nous devons oublier la tristesse et accueillir le saint jour dans l'allégresse. Le Tout Puissant nous aidera. J'aurais été prévenu de votre arrivée, je m'y serais préparé comme il se doit. Si cela ne vous fait rien de partager notre repas...
Benjamin répondit qu'il avait apporté son vin et ses 'Halloth.
Le Chabbath s'écoula comme on pouvait s'y attendre en pareille circonstance. Benjamin avait beau observer son hôte, il ne décelait rien en lui qui pût retenir particulièrement son attention. Le comportement du fabricant de balais était celui d'un Juif pieux, certes, mais d'un Juif ordinaire qui pouvait tout juste lire les prières dans le Siddour. Après le repas de midi, il disparut dans les bois. Benjamin, de son côté, sortit de la cabane et s'assit sous un arbre pour étudier. Le soir tombait, il s'assoupit. Tout à coup, il perçut un chant d'une grande douceur: "Al Tira Avdi Yaacov - n'aie pas de crainte, Mon serviteur Jacob", et il lui sembla que c'étaient les anges eux mêmes qui chantaient ces paroles.
Quand il ouvrit les yeux, le ciel était constellé d'étoiles. Il se hâta je rentrer dans la cabane. Le maître de céans, déjà là, avait achevé la Havdalah et psalmodiait ces mêmes paroles: "N'aie pas de crainte, Mon serviteur Jacob", du livre de prières.
Quand Benjamin eut fait à son tour les prières qui terminent le Chabbath, puis récité la Havdalah, le fabricant de balais lui parla :
"- Venez avec moi, fit-il simplement, je vous indiquerai un raccourci pour regagner rapidement la ville. Je vous conduirai en même temps jusqu'à la route où vous trouverez une auberge proche. Passez-y la nuit, et demain retournez tôt à Kobrin, à temps pour les prières du matin. Dieu a agréé nos prières, le danger est passé."
Avant de se séparer de son visiteur, Jacob lui recommanda de ne révéler à personne leur rencontre tant que Rabbi Leïb était en vie.
Le lendemain matin, sur le chemin qui le conduisait à la Synagogue, Benjamin fut surpris de trouver une animation peu habituelle. L'émotion était générale.
"- Qu'arrive-t-il, et quelle est la raison de tout ce mouvement ?
- Où étiez-vous donc pour poser une question pareille ? Ne savez-vous pas qu'hier une escouade de soldats russes a bloqué les sorties du château du Comte, qu'ils ont arrêté ce dernier et l'ont emmené dans les chaînes ? Un miracle a eu lieu, et nous sommes sauvés, sauvés! Dieu soit loué !"
Les détails suivirent. Une lettre secrète adressée par le Comte à un autre chef de la rébellion était tombée entre les mains des Russes. Son auteur fut aussitôt arrêté pour trahison; il devait être exécuté par la suite.
Peu de temps après, Benjamin fut convoqué au palais du Gouverneur. Là il fut informé que la lettre du Comte à son complice faisait également état des efforts du premier en vue d'entraîner les Juifs de Kobrin dans l'aventure et du refus opposé par eux, sans souci des conséquences. Ils préféraient la ruine et l'exil à l'odieuse participation qu'on leur demandait. Le gouvernement était donc reconnaissant aux Juifs de Kobrin pour leur loyauté, et avait décidé de leur faire don des terrains sur lesquels leurs maisons, leur Synagogue et leur cimetière se trouvaient.
Benjamin se hâta de rapporter la bonne nouvelle à ses frères. Elle produisit l'effet que vous imaginez.
Un autre Pourim doit être rappelé dans cette série de commémorations; le "Pourim Mitsraïm", que les juifs de rite sépharade du Caire ont coutume de célébrer le 28 Adar de chaque année, en souvenir également d'un sauvetage miraculeux.
L'événement s'était passé vers l'année 1524, sous le règne du calife turc, le fameux Souleiman II, dit "le Magnifique". Ce souverain avait accordé sa protection aux juifs, les aidant, les protégeant. contre leurs ennemis et prenant leur défense contre toute persécution. Il avait à sa Cour des savants juifs, notamment l'érudit Al Tam Ibn Yehia, son conseiller privé le Gaon Youssouf Al-Nassi, le médecin Moussa Ibn Youssouf Al Hamon.
Souleiman le Magnifique avait également créé la dignité de "Grand Rabbin" pour remplacer le titre de "Nassi".
A cette époque, au Caire, le Grand Rabbin était Rabbi Daoud Ibrahim Abi Zimra (David Ben Zimra), homme de haute culture et talmudiste renommé.
Dans un autre domaine, le sultan avait nommé administrateur des finances de l'Egypte, un autre Juif, pieux et intègre, Ibrahim De Castro, et lui avait confié la direction de l'Hôtel de la Monnaie, ce qui lui donnait la dignité de Ministre des Finances.
Tout aurait été donc pour le mieux s'il n'y avait alors, comme gouverneur au Caire, un vice-roi d'origine turque nommé Ahmet Cheytan Bacha. C'était un homme autoritaire, orgueilleux, qui traitait avec brutalité la population autochtone d'Egypte qu'il considérait comme arriérée. C'était aussi un ambitieux qui aspirait à se libérer de la tutelle de Constantinople pour devenir lui-même sultan en Egypte.
Un jour donc, Ahmet Cheytan Bacha fit venir à son palais, le Ministre des Finances, Ibrahim de Castro et lui ordonna de faire frapper une nouvelle monnaie égyptienne à son effigie et à son nom, aux lieu et place de ceux du Sultan.
De Castro se fit remettre cet ordre par écrit, puis s'empressa de partir pour Istanbul où il mit le Sultan au courant des menées de son vice-roi.
Furieux, le souverain envoya immédiatement au Caire des émissaires pour déjouer les plans de Cheytan Bacha. Celui-ci comprit, bien entendu, d'où lui venait le coup et voulut s'en venger sans retard sur la Communauté juive du Caire. Il fit emprisonner d'abord les parents de De Castro et confisqua leurs biens. Puis il lança la racaille contre le quartier juif, où tout fut pillé, saccagé et incendié. Le malheur était grand, mais Cheytan Bacha n'était pas encore satisfait! Il fit arrêter douze notables Juifs et, sous peine de mort, exigea d'eux une forte rançon.
La mort dans l'âme, les Juifs s'efforcèrent de recueillir la somme demandée, mais n'en purent rassembler qu'une infime partie. Le vice-roi, furieux, menace d'exécuter les otages et de massacrer toute la population juive.
C'est alors qu'eut lieu le miracle!
Un des émissaires du Sultan parvint à s'introduire au balais du vice-roi, trouva Cheytan Bacha dans son bain, et le blessa grièvement. Malgré ses terribles blessures, le Vice-Roi put, toutefois, fuir et alla demander refuge à une tribu bédouine, les Benei-Bakr. Mais le Cheikh de la tribu lui refusa l'asile, et le livra aux troupes du Sultan. Cheytan Bacha fut décapité et sa tête envoyée au Sultan. L'émissaire qui avait mis fin à la carrière du sinistre vice-roi, et prit sa place, s'appelait Mehemet Pey celui-ci se montra grand ami des Juifs il libéra les otages et rendit aux autres membres de la Communauté leurs biens dont ils furent spoliés.
L'événement laissa une impression ineffaçable dans la Communauté, et les chefs de la "Kéhilah" décidèrent d'en perpétuer le souvenir par une fête annuelle, célébrée le 28 Adar, le "Pourim Mitsraïm". De plus, le récit du miracle fut transcrit sur un rouleau de parchemin, et on le lit chaque année dans les Synagogues du rite sépharade au Caire.
Cet article a été écrit pour "Conversations avec les jeunes", par le Dr Joseph Weinstein, ancien président de la Communauté Achkénazite du Caire. C'est le grand Rabbin d'Egypte Haïm Nahoum qui lui avait raconté l'événement du "Pourim Mitsraïm".
Pourim de Rhodes
Rhodes, 1840.
Hamanas, un Grec fort riche, était le grand magnat des éponges de Rhodes, l'île de la mer Égée, à quelques kilomètres au sud du port turc de Smyrne.
Une flotte de petits bateaux travaillait pour Hamanas, pêchant les éponges qu'il exportait à Smyrne en Turquie, et à Salonique en Grèce. Il avait le monopole tacite de ce commerce dans l'île et en profitait pour exploiter sans vergogne les pauvres pécheurs qui exposaient souvent leurs vies dans l'exercice de ce métier dur et ingrat. Ils avaient l'habitude de partir à deux dans de petites embarcations non loin des côtes de Rhodes et des nombreuses îles avoisinantes.
UN METIER A RISQUES
Pendant que l'un des hommes tenait le gouvernail, l'autre plongeait, armé d'une sorte de trident dont il se servait pour détacher les éponges et les emporter à la surface. Inlassablement, le pêcheur plongeait dans l'eau, retenant son souffle jusqu'à la limite de ses forces, à la recherche des éponges. S'il avait la chance d'en trouver, il remontait à la surface et les déposait au fond de l'embarcation. Puis il emplissait d'air ses poumons et plongeait à nouveau. Souvent, il remontait respirer avant d'avoir rien trouvé.
Sans parler des précautions qu'il devait prendre pour éviter les pieuvres qui, aux aguets au creux des rochers, infestaient les eaux. C'était un métier précaire, dangereux et qui ne nourrissait pas son homme.
Le plongeur répétait ainsi son manège jusqu'à l'épuisement de ses forces. Alors son compagnon prenait la relève à son tour, tandis que le premier pêcheur, reprenant haleine, se mettait au gouvernail. Cela durait toute la journée, avec une brève pause pour le déjeuner. Tard dans l'après-midi, les pêcheurs regagnaient le rivage où leurs femmes et leurs enfants les attendaient impatiemment.
C'était au tour des hommes de se détendre.
Les femmes et les enfants étalaient les éponges au soleil afin que la matière organique qu'elles contenaient se décomposât. Puis il fallait battre les éponges, les laver, les sécher, enfin les enfermer dans des sacs qu'on transportait aux entrepots d'Hamanas. Celui-ci, nous l'avons dit, rémunérait chichement le labeur épuisant de ces pêcheurs misérables.
LA CONCURRENCE DES NEGOCIANTS JUIFS
Il y avait dans l'île d'autres négociants en éponges, mais la plupart étaient les agents d'Hamanas; ils comptaient un certain nombre de juifs.
Voyant combien le "magnat" pressurait tout le monde autour de lui, ces derniers décidèrent de se charger eux-mêmes, et sans intermédiaire, de leurs exportations.
Pourquoi ne le feraient-ils pas, après tout? La communauté juive locale entretenait des rapports étroits avec celles de Smyrne et de Salonique, il serait facile d'établir des contacts commerciaux avec des frères juifs parlant la même langue et soumis aux mêmes lois de la Torah.
Pour ne pas entrer en compétition ouverte avec Hamanas, ils choisirent de se spécialiser dans les produits de qualité supérieure, et bien vite leurs efforts furent couronnés de succès. Ils améliorèrent les salaires des pauvres pêcheurs, et il ne fallut pas longtemps pour que leur réputation d'hommes ayant le respect du travail d'autrui leur attirât les meilleurs pêcheurs d'éponges de l'île.
Mais ces succès ne pouvaient laisser indifférents les négociants chrétiens. Surtout que l'intervention des commerçants juifs changeait les conditions du marché du travail. Les chrétiens se virent obligés d'emboîter le pas à leurs concurrents involontaires et d'augmenter les salaires des pêcheurs. Autant de manque à gagner qu'il fallait subir par la faute des commerçants juifs! La haine s'empara de leurs cœurs; elle ne fit que grandir.
L'un des meilleurs pêcheurs d'éponges d'Hamanas était un Grec nommé Métaxas. Lui et son fils formaient une excellente équipe. Tous deux étaient aussi bons nageurs que plongeurs, et le produit de leur pêche était habituellement le meilleur de cette petite flotte côtière.
Chaque semaine, Métaxas rapportait à Hamanas une importante provision d'éponges. Mais en dépit de cela, lui et sa famille vivaient dans la plus grande pauvreté. Une initiative de son patron l'avait mis, et pour longtemps, à sa merci. Hamanas, rusé comme il était, avait en effet avancé une certaine somme d'argent à Métaxas qui voulait s'acheter un bateau et l'équiper. Ce n'était pas là une fantaisie superflue; le vieux bateau avait tant servi Il était désormais rebelle à toute réparation.
A partir de ce jour, Métaxas devint l'éternel débiteur d'Hamanas. Eternel pour la raison bizarre que la dette, au lieu de diminuer à mesure des retenues régulières opérées sur les salaires du pêcheur et de son fils, augmentait au contraire. Était-ce parce que l'intérêt calculé par Hamanas était exorbitant, ou parce que ce dernier trompait simplement son débiteur?
Métaxas se posait la question sans pouvoir y répondre. Mais c'était ainsi. Et Hamanas pouvait à tout moment confisquer bateau et matériel, et même faire jeter le pauvre pêcheur en prison.
UN GRAND MALHEUR
Ce dernier et son fils, désireux de se débarrasser de ce poids, faisaient d'immenses efforts, s'épuisaient. Dans le même temps, la pêche devenait malheureusement de plus en plus ardue.
Dans les eaux peu profondes, il restait peu de ces "fleurs marines" (en fait les éponges sont plutôt des "animaux" marins de l'espèce la plus inférieure); il devenait nécessaire de plonger à des profondeurs toujours plus grandes.
Le jeune Métaxas, à qui son âge permettait de garder plus longtemps son souffle, plongeait de plus en plus souvent. Le vieux restait à la surface. Il connaissait assez la grande habileté de son fils; cela ne l'empêchait pas toutefois d'éprouver quelques inquiétudes quand le jeune homme, disparaissant sous l'eau, ne remontait pas assez vite. Pour ce père anxieux, ces plongeons étaient toujours trop longs.
Puis un jour, ce qu'il redoutait le plus, sans oser se l'avouer, arriva. Le jeune homme avait plongé comme à son habitude, mais il tardait à reparaître à la surface.
Métaxas comprit aussitôt que son fils avait des ennuis. Il plongea et se mit désespérément à sa recherche. Le cœur battant, il allait à droite et à gauche; mais son souffle était court, il dut remonter à la surface pour respirer.
Finalement, il repéra une sorte de nuage sombre dans l'eau au fond d'un rocher, signe certain de la présence du mollusque tant redouté, dont il connaissait si bien les grands yeux étincelants et les huit tentacules semblables à des serpents et parsemées de leurs puissantes ventouses.
Le cœur battant à se rompre, Métaxas suivit le noir sillage. Aucun doute qu'au fond du rocher la pieuvre se cachait, tenant captive sa proie, le corps sans vie du jeune homme.
C'était comme il l'avait pensé. Brandissant le couteau à la lame acéré dont il s'était muni, Métaxas affronta l'énorme bête, frappant et coupant dans ces bras visqueux avant qu'ils pussent s'entortiller autour de lui et l'immobiliser à son tour. Puis, tout à coup, la pieuvre battit en retraite, lâchant sa proie et disparaissant dans un jet de liquide noirâtre
Métaxas, à la limite de ses forces, remonta à la surface emportant le corps de son fils. Il tint la tête de celui-ci hors de l'eau, mais le jeune homme ne donnait aucun signe de vie.
Le bateau, abandonné au gré du vent, allait à la dérive. Bien qu'épuisé, le vieux pêcheur n'avait d'autre choix que de nager jusqu'à lui, pour ensuite se laisser porter jusqu'au rivage. Ce qu'il fit au prix de très grands efforts. Une fois dans le bateau, le désespoir lui fit réunir le peu de forces qui lui restaient pour essayer de ranimer le noyé. Il tenta tout; rien n'y fit.
Entre-temps, des pêcheurs avaient repéré le bateau allant à la dérive; ils le tirèrent rapidement jusqu'au rivage. Là, ils transportèrent les deux corps - celui du jeune homme mort et celui du père au dernier degré de l'épuisement - dans la cabane où logeait la famille.
LA COLÈRE DES PÊCHEURS
Le malheur qui frappait celle-ci éveilla la colère de tout le village, formé en majeure partie de pêcheurs.
Le lendemain matin, ces derniers, au lieu de prendre la mer, se rendirent chez Hamanas. Ils accusèrent celui-ci d'être cause de la mort du jeune Métaxas et exigèrent, d'abord qu'il annulât la dette par le moyen de laquelle il exploitait sans le moindre scrupule le vieux pêcheur, ensuite une augmentation de salaire; faute de quoi, ils menaçaient d'aller offrir leurs services aux négociants juifs.
Hamanas leur exprima ses regrets d'avoir perdu le plus habile de ses pêcheurs d'éponges. Quant à leurs revendications, il promit d'en discuter avec les autres négociants.
Des jours, puis des semaines passèrent. Les pêcheurs finirent par perde toute confiance en Hamanas. La colère les gagnait à nouveau contre ce patron qui s'enrichissait cyniquement à leurs dépens. Seul le vieux Métaxas ne disait mot. Tout lui était désormais indifférent. Un seul but lui restait dans la vie : se débarrasser le plus vite possible de sa dette envers Hamanas.
Un invité de marque
La luxueuse maison d'Hamanas brillait de tous ses feux. Ce dernier recevait un invité de marque, Youssouf Pacha, le gouverneur de l'île. La table était chargée des mets les plus délicats et des vins les plus fins, et dont l'hôte se délectait. Ce qui le mettait dans d'excellentes dispositions pour écouter d'une oreille favorable les doléances d'Hamanas.
Ce dernier se plaignait en effet de la concurrence des négociants juifs. "Ils portent préjudice à mon commerce; ils attirent à eux mes meilleurs pêcheurs en leur offrant des rémunérations plus élevées, ce qui m'oblige à faire de même dans la même proportion afin de ne pas les perdre. Cela ne peut durer, il faudra mettre vu terme à cette concurrence ruineuse pour moi!"
Et pour donner plus de force à ses paroles, Hamanas ajouta que si le gouverneur l'aidait à se débarrasser des négociants juifs, il l'associerait à ses affaires. C'était un argument de poids auquel Youssouf Pacha n'était pas insensible.
LE FILS D'HAMANAS DISPARAIT
Youssouf Pacha haïssait les juifs au moins autant qu'Hamanas.
Mais comment se débarrasser d'eux, cela était une autre affaire. On vivait au 19ème siècle, non au Moyen Age. Expulser des citoyens laborieux et honnêtes sous le seul prétexte qu'ils étaient juifs était impensable.
S'il pouvait trouver une accusation plus sérieuse, ce serait différent. Mais qu'inventer?
A ce moment, une servante entra précipitamment. Son visage était très pâle et elle tremblait de tous ses membres; visiblement elle était en proie à une grande émotion.
Hamanas et son hôte se dressèrent d'un seul mouvement. Au prix de grands efforts, la servante put à peine balbutier quelques mots : le fils unique d'Hamanas, un enfant de cinq ans, avait disparu.
Hamanas, bouleversé, ordonna à tous ses serviteurs d'aller sur-le-champ à sa recherche.
LA JOIE DE YOUSSOUF PACHA
Youssouf Pacha jugea opportun d'écourter sa visite. Il dit toute sa sympathie au père accablé, et promit d'envoyer quelques-uns de ses hommes pour aider aux recherches.
Mais dans son for intérieur le gouverneur jubilait. L'occasion unique qu'il attendait s'offrait enfin à lui. On était à un mois de la fête israélite de Pâque, rien de plus indiqué que d'accuser les juifs d'avoir enlevé le garçon pour l'égorger à des fins rituelles.
Certes, Youssouf Pacha savait que l'accusation selon laquelle les juifs incorporaient du sang dans la Matsah était aussi stupide qu'atroce. Il savait mieux que personne que la Loi judaïque ne permet pas à l'Israélite d'avaler fût-ce une goutte de son propre sang quand par exemple sa gencive saigne; et que les juifs salent et trempent leur viande afin de lui faire régurgiter tout le sang qu'elle contient, avant qu'elle soit rituellement apte à la consommation.
Mais que le gouverneur le sût importait peu. Le peuple ignare serait facile à persuader que le garçon avait été enlevé parce que les juifs avaient besoin de son sang pour leur Matsah. S'appuyant sur cette accusation, Youssouf Pacha aurait une excellente raison de chasser ces derniers de Rhodes. Cela fait, il deviendrait de surcroît l'associé d'Hamanas, et partagerait les bénéfices considérables d'un commerce dont ils auraient désormais le monopole exclusif.
Le gouverneur rentra chez lui et donna l'ordre qu'une escouade de sa milice allât aider Hamanas dans ses recherches. Une autre escouade devait accompagner Youssouf Pacha chez le Rabbin Yaacov Israël.
Il le trouva à table, en compagnie des sept dirigeants de la communauté. Ils célébraient ensemble la fête de Pourim, ignorant tout de la calamité qui, par les soins du gouverneur et de son ami Hamanas, allait s'abattre sur eux.
Sans autre forme de procès, Youssouf Pacha arrêta le Rabbin et ses convives sous l'inculpation d'avoir enlevé le jeune fils d'Hamanas dans le but de le tuer à des fins rituelles.
Cette arrestation créa la panique au sein de la collectivité juive. Elle se réunit aussitôt dans la synagogue afin d'observer un jeûne et de prier pour que Dieu accomplît le miracle qui ferait éclater leur innocence aux yeux de tous.
Entre-temps, le gouverneur ouvrit une "enquête". Les inculpés subirent un interrogatoire assorti de cruelles tortures, qui se répétèrent jour après jour, sans répit. Le but en était clair leur extorquer un aveu conforme, sinon à la vérité, du moins au désir de leurs bourreaux. Ils résistèrent tant qu'ils purent; mais certains d'entre eux finirent par faiblir et par "avouer" ce qu'on attendait d'eux.
L'aveu obtenu, Youssouf Pacha prépara, avec toute la publicité et la pompe imaginables, un procès public destiné à donner au monde entier la "preuve" éclatante du meurtre rituel auquel recouraient les juifs quand vient la fête de Pâque.
S'appuyant sur cela, il espérait que le Sultan l'autoriserait enfin à chasser de Rhodes les juifs.
MÉTAXAS AGIT
Pendant ce temps, quelques moines fanatiques, opérant de leur côté, conditionnaient la populace, l'excitant, attisant la haine qui couvait dans les cœurs. Dans leurs discours enflammés, ils traitaient les juifs "d'assassins" et de "vampires".
Hamanas, lui, veillait à ce que cette fièvre meurtrière ne tombât point, particulièrement dans les villages où abondaient les pêcheurs. Au début, ces derniers tombèrent dans le piège, entraînés par l'agitation générale. Mais bien vite ils se rendirent compte qu'il était contraire à leur intérêt d'apporter leur appui à la cause que défendait Hamanas.
Car à quoi tendait ce dernier sinon à se débarrasser de la concurrence juive si préjudiciable à ses affaires? Le vampire, c'était lui, non les Juifs! Il s'était engagé à augmenter leurs rémunérations, et n'avait pas tenu sa promesse. Ils n'avaient que trop patienté; de bonnes paroles, autant qu'ils en voulaient; c'était tout ce qu'ils avaient obtenu!
Les pêcheurs d'éponges, conscients de la vérité que cachait cette situation, se réunirent un soir pour en discuter. Métaxas vit qu'aucun d'eux n'avait le courage d'exprimer ouvertement ses griefs contre le puissant patron Hamanas. Il fallait que quelqu'un osât. Alors il se leva et dit d'un ton ferme :
"Pourquoi avoir peur d'une vérité qui saute aux yeux de quiconque: Hamanas est en train de nous presser comme - c'est le cas de le dire - on presse une éponge. Cessons de travailler pour lui; travaillons plutôt pour les négociants juifs. Si vous acceptez que je parle en notre nom à tous, j'irai discuter la chose avec eux".
Devant tant de détermination, un seul cri, un seul mot sortit de toutes les bouches : "D'accord! "
LE SECRET DU COMPLOT
Métaxas alla trouver, parmi les négociants juifs, celui dont l'autorité était admise par tous, et qui jouait le rôle de chef en cas de décisions importantes à prendre. Et il lui dit que les pêcheurs d'éponges de son village étaient, comme lui-même, prêts à vendre le produit de leurs pêches aux commerçants juifs plutôt qu'à Hamanas.
Le négociant fut très surpris des propos de Métaxas. Et il y avait de quoi l'être. La haine antisémite était à ce moment-là à son paroxysme, et voilà qu'un grand nombre de chrétiens préféraient avoir affaire aux juifs plutôt qu'à leurs propres coreligionnaires. Le commerçant exprima toute sa gratitude à Métaxas, mais il se vit obligé de décliner l'offre.
"Voyez-vous, dit-il avec franchise au pêcheur d'éponges, "vu les circonstances, nous juifs ne saurions être trop prudents; nous devons nous abstenir de tout geste qui risquerait d'attiser encore davantage - à supposer que ce soit possible - la haine d'Hamanas. Vous savez le grand danger qui nous menace actuellement. Croyez-moi, je suis désolé de refuser, mais je ne puis faire autrement..."
Métaxas fut profondément déçu. "Je ne vous comprends vraiment pas, vous juifs. Cette crapule d'Hamanas vous accuse faussement d'un crime odieux; une occasion se présente de vous venger, et vous refusez tout simplement d'en profiter... A votre place, je serais heureux d'enterrer de mes propres mains ce vampire!"
Le négociant était tout stupéfait. Il avait devant lui un homme qui semblait tout à fait sûr que l'accusation dont on accablait les juifs était fausse. De plus, il brûlait du désir de venger la mort de son fils. Cachait-il quelque chose qu'il savait au sujet du complot? Le commerçant juif décida d'agir sous le coup de l'inspiration.
"RAMÈNE L'ENFANT!"
"Si tu veux réellement te venger d'Hamanas", fit-il, "je te dirai, moi, la meilleure manière de le faire. Tu sais bien que l'accusation dont nous sommes l'objet est sans fondement. Il est plus que probable qu'un de nos ennemis a enlevé et caché l'enfant; à moins qu'Hamanas lui-même ne l'ait fait disparaître le temps qu'il faut pour se débarrasser de nous. Cela fait, il aurait le monopole exclusif du commerce des éponges. Alors, vous les pêcheurs serez perdus; l'exploitation dont vous êtes victimes serait pire que jamais.
"Tandis que si le garçon pouvait être retrouvé et ramené sain et sauf chez lui, la vérité éclaterait aux yeux de tous : la preuve serait faite que c'était un complot monté de toutes pièces par Hamanas. Il en subirait les conséquences, il serait moralement ruiné. Nous pourrons alors conclure un accord avec toi et les autres pêcheurs, accord qui vous permettra à tous de gagner décemment votre vie... "
A mesure qu'il parlait, le commerçant, qui observait attentivement Métaxas, voyait qu'il avait touché juste. Il marquait des points. Pour consolider son avantage, il poursuivit en faisant appel aux sentiments d'un père qui sortait à peine d'une terrible épreuve.
LA VÉRITÉ ÉCLATE
"Tu sais, Métaxas, ce que c'est que de perdre un fils qu'on chérit, un garçon innocent, victime de la cupidité d'un homme sans scrupules. C'est une perte irréparable puisque tu ne peux le ramener à la vie. En revanche, tu assureras la vie à des centaines d'enfants innocents en déjouant le complot d'Hamanas. Métaxas, tu es un homme bon et honnête. je te le demande avec toute la force dont je suis capable : ramène, si tu peux, le fils de ton ennemi. Tu sauveras ainsi beaucoup de vie; et en même temps tu tireras la meilleure "vengeance" de celui qui t'a fait tant de mal".
Métaxas quitta sans un mot le négociant juif.
Cette nuit-là, un petit bateau, manœuvré par un rameur, glissait silencieusement sur l'eau, en direction de la petite île de Sira, à quelque distance de Rhodes. L'homme penché sur ses rames n'était autre que Métaxas. Il avait décidé de ramener le fils d'Hamanas. C'était lui qui l'avait enlevé et caché chez son beau-frère qui vivait dans la petite île voisine.
Le lendemain s'ouvrit le grand procès. Au plus fort de son déroulement, alors que les témoins se succédaient à la barre et témoignaient "sous la foi du serment", accablant les Juifs et affirmant qu'ils se livraient bel et bien aux meurtres rituels dont on les accusait, le fils d'Hamanas parut en pleine salle d'audience.
Ce fut comme un coup de tonnerre. Une houle immense secoua l'assistance. Il y eut un brouhaha indescriptible. Quand l'ordre put à grand-peine être rétabli, les accusés juifs furent aussitôt acquittés. On les relâcha sur-le-champ.
Ce fut alors le tour de Youssouf Pacha et d'Hamanas. Toutes les conséquences du terrible complot s'abattaient sur leurs têtes. Le Sultan était furieux que le gouverneur qui représentait l'autorité suprême dans l'île de Rhodes eût tourné en ridicule son maître aux yeux de toutes les cours d'Europe et d'Asie. Il prit aussitôt un firman (décret) interdisant une fois pour toutes l'accusation de "meurtre rituel" contre les juifs.
Youssouf Pacha essaya de rejeter toute la faute sur Hamanas, et celui-ci lui rendit la pareille. Tentatives réciproques vouées, bien entendu, à l'échec.
Le Sultan les bannit tous deux de Rhodes, accompagnant cette mesure de châtiments que l'un et l'autre avaient bien mérités.
Ce que le négociant juif avait prévu, lors de la visite de Métaxas, se réalisait. La communauté israélite de Rhodes se débarrassait ainsi de ses deux ennemis mortels. II ne lui restait qu'à rendre grâces à D.ieu de l'avoir, encore une fois, si miraculeusement sauvée. Ce quelle fit avec toute la ferveur dont elle était capable.
Lle Sultan turc Abed Almagid fit parvenir aux Juifs de l'île un décret déclarant que l'accusation était fausse, et leur demandant de conserver ce document pour les laver de tout soupçon à l'avenir.
De cette date, le 14 Adar fut célébré avec une joie redoublée: la délivrance du Peuple Juif en général, et la délivrance de la communauté de Rhodes en particulier.
Pourim d'Istanbul.
Rabbi Moché Hamoun était le médecin personnel du Sultan Soleiman de Turquie.
Il avait hérité cette charge et ces honneurs de son père, Rabbi Yossef Hamoun, qui avait fuit l'Espagne et l'Inquisition en 1492 pour éviter une conversion forcée. Héritier d'une longue chaîne de Sages et de médecins espagnols qui avaient été des proches des familles royales d'Espagne, il avait vite été remarqué par le sultan qui l'avait pris à son service.
Rav Moché avait su mettre tout son talent et sa sagesse au service des intérêts du Sultan et de sa communauté.
En 5290 (1530), un juif avait été accusé de meurtre rituel. Rabbi Moché Hamoun avait depuis obtenu que toute stupide accusation de ce genre soit jugée par le Sultan directement, et que les enquêtes seraient menées sous la surveillance personnelle du Sultan.
Rabbi Moché Hamoun fut un jour appelé d'urgence au Palais. Il trouva le Sultan hagard, tremblant, effrayé. Le monarque lui raconta qu'il avait fait un rêve terrible.
Il avait entendu une voix menaçante: "Soleiman, Soleiman, pourquoi dors tu? Comment peux tu te taire? Je suis le Prophète, envoyé par le ciel pour te demander de tuer ces Juifs infidèles. Dans trois jours, tu dois décréter que tous les Juifs du Royaume doivent accepter la religion de Mahomet. Tous ceux qui refuseront la conversion devront quitter le Royaume, ou périr. Hommes femmes et enfants, tous devront mourir. Lèves toi, Soleiman, et accomplis mon ordre si tu tiens à la vie!"
Rabbi Moché Hamoun fut saisi de tremblements. Il se jeta aux pieds du Sultan pour implorer sa grâce pour tous ses frères juifs.
"Ce n'est qu'un vain rêve Majesté. Cessez de penser à ces choses qui ne sont que des chimères".
Le Sultan fut un peu rassuré.
Reb Moché s'en retourna chez lui, espérant avoir convaincu le Sultan.
Il fut rappelé au Palais le lendemain matin de bonne heure.
Le Sultan était encore plus bouleversé que la veille. Il tremblait de tout son corps et raconta au médecin avoir fait le même rêve.
"C'était terrifiant. Même après m'être réveillé, j'entendais encore la voix menaçante du Prophète…
Rav Moché, mon bon ami, je vais être obligé d'obéir à cet ordre du ciel. Prends les tiens et fuies tout de suite!"
Reb Moché se jeta à nouveau aux pieds du Sultan. Il le supplia de ne rien faire de cet ordre injuste et cruel et insensé.
Comment sa Majesté qui est intelligente et ouverte peut elle s'en prendre à ces citoyens paisibles et fidèles que sont les Juifs du Royaume? Qu'ont ils fait qui justifierait qu'on les traite avec tant de cruauté?"
Le Sultan accepta d'attendre encore un jour. Il craignait cependant le courroux du Prophète, et si le rêve se répétait il serait bien obligé de s'exécuter…
Reb Moché réunit tous les responsables de la communauté pour les tenir au courant de ce qui se passait. Un jeune fut décidé pour les hommes les femmes et les enfants, et tous se rassemblèrent dans la grande synagogue pour implorer la miséricorde divine.
Le soir, Reb Moché se dirigea vers le Palais, se répétant que seul D.ieu dans sa grande bonté pouvait les sauver.
Chemin faisant, il fut accosté par un vieillard inconnu qui lui tendit la main.
"Chalom aleikhem, Reb Moché. Vous avez l'air bien soucieux. Quelle est la cause de vos tracas?"
Reb Moché salua son compagnon, et lui raconta du bout des lèvres ce qui se passait. "Tu n'es pas d'ici, tu n'est pas au courant de ce qui peut arriver" conclut-il tristement.
"Notre D.ieu qui est au ciel est grand et puissant, répondit le vieillard. Ni il dort, ni il sommeille. Il garde son peuple à chaque instant, en toute situation. Puis je te conseiller de t'intéresser à ce qui se passe derrière la porte secrète de la chambre du Sultan?"
Reb Moché leva les yeux au ciel, pour remercier D.ieu de cette bonne idée. Il voulut en remercier son hôte, mais il avait déjà disparu dans la foule.
Reb Moché n'avait pas le temps de se poser plus de question. Il poursuivit sa route vers le palais, et y fut reçu par le Sultan dans ses appartements privés. L'inquiétude du Sultan se lisait sur son visage.
"Que sa Majesté soit rassurée, je crois pouvoir résoudre cette énigme. Mais que sa Majesté me dise. Il y a-t-il une porte secrète dans sa chambre à coucher?"
Le Sultan devint pensif. C'est vrai que dans son enfance, son père, le sultan précédant lui avait confié qu'il existait une porte secrète, par laquelle on pouvait fuir le palais en cas de danger. Il lui avait recommandé de ne jamais révéler ceci, afin de garder cette possibilité de fuite secrète.
Reb Moché était au comble de la joie. Il savait qu'on tentait là la clé des apparitions nocturnes du "Prophète". IL demanda au Sultan de poster dans le plus grand secret quelques hommes de sa garde personnelle dans la chambre à coucher royale, et demanda la permission de passer la nuit lui aussi dans la chambre, chose que le Sultan accepta.
La nuit dura une éternité. Non pas pour le Sultan qui s'était endormi, rassuré par la présence et la tranquillité apparente de Reb Moché, mais pour Reb Moché et les gardes. Les gardes, l'arme à la main, guettaient près de la porte secrète.
Un petit bruissement précéda l'appel.
"Soleiman, Soleiman, pourquoi dors tu? C'est le dernier avertissement. Je suis …"
Le "Prophète" n'eut pas le temps de terminer sa harangue. Les gardes avaient ouvert la porte, s'étaient saisi du "prophète" et l'avaient traîné à l'intérieur de la chambre.
Le Sultan, réveillé par l'appel et le tumulte qui l'avait suivi s'aperçut avec effroi qu'il s'agissait de son Vizir, connu pour sa haine des Juifs en général, et du médecin juif en particulier.
Le Vizir fut pendu le jour même sur la place publique, et le Sultan rassura Reb Moché sur la confiance qu'il continuait à accorder aux Juifs du Royaume.
Les Juifs d'Istanbul apprirent la bonne nouvelle et décidèrent de la fêter comme un jour de Pourim.
Et le vieillard, demandez vous? C'était bien sûr le Prophète Elie en personne, celui qui apporte toujours aux juifs persécutés la délivrance du Ciel.
Pourim de Francfort
"Pourim Vincent"
Vers 1616, dans la ville allemande de Francfort, les Juifs étaient sous la botte d'un groupe d'antisémites qui les maltraitaient cruellement. On les obligeait à porter des signes distinctifs sur leurs vêtements, et leurs maisons devaient être marquées d'un écriteau de couleur voyante, — blanche, verte ou rouge, — afin de les désigner à leurs ennemis.
Or donc, à cette époque, un meneur anti-juif organisa des groupes d'agression, et devint rapidement puissant; cet homme, un boulanger nommé Vincent Fettmilch, se faisait appeler le "nouvel Haman", et plus d'une une-fois, il mérita son surnom par les exactions commises contre les Juifs. Ceux-ci, très malheureux, portèrent plainte à l'Empereur Mathias, et le souverain fit arrêter Fettmilch, ainsi que ses lieutenants, et les fit décapiter. Leurs cadavres furent découpés en pièces et exposés dans les divers quartiers de la ville, à titre d'exemple... De plus, le gouverneur impérial imposa à la ville une amende de 175 000 florins, afin d'indemniser les victimes du "nouvel Haman".
La Communauté Juive de Francfort eut à cœur de commémorer ces événements, par un jeûne en souvenir de ses souffrances, et par une journée de fête que l'on nomma par la suite "Pourim Vincent". Cette double commémoration est célébrée chaque année le 20 Adar.
Pourim de Tibériade
En l'an 5503 (1743), les Juifs de Tibériade échappèrent à un sort terrible quand le Pacha de Damas mit le siège devant la ville et menaça de tuer tous les Juifs.
Tibériade appartenait alors à un Cheikh arabe qui avait beaucoup d'amitié pour les Juifs et une grande vénération pour Rabbi 'Haïm Aboulafia.
Il avait permis à ce dernier de reconstruire le quartier juif et d'édifier une belle synagogue.
Une solide enceinte fut aussi élevée tout autour de la cité.
Puis, la guerre civile éclata entre Souleiman, le Pacha de Damas et le Cheikh. Le siège de Tibériade dura 85 jours. Le danger était très grave pour la communauté juive, toujours la première à payer –et pas que d'argent- le prix de ces guerres.
Les Juifs prièrent et jeûnèrent, et le 4 Kislev vint le secours Divin: soudain, sans raison apparente, Souleiman leva le siège et rentra dans son pays.
Pendant de longues années, ce fut un jour consacré à la gratitude envers D.ieu pour ce miracle.
Pourim de Worms
Entre 1614 et 1616, Worms, était en butte à des persécutions anti juives; là également, un cruel ennemi des juifs s'était levé, un certain docteur Chemnitz, qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour terroriser la Communauté.
Mais ici aussi, les autorités ne tardèrent pas à intervenir : sur l'ordre du gouverneur, le duc Frederic Von Pfaltz, le triste sire Chemnitz et ses hommes de main furent arrêtés, l'armée prit les quartiers Juifs sous sa protection, et la vie redevint à peu près tranquille pour la Communauté. En souvenir de quoi, un Pourim fut institué, "Pourim de Worms", en souvenir de la libération de l'oppression antisémite, que l'on célébrait chaque année en Adar.
Pourim de Chios
Le Pourim de Chios, également appelé "Purim de la Senora", "Pourim de l'héroïne", fait suite à un événement qui eut lieu en 1595.
La flotte espagnole assiégeait l'île grecque de Chios, sous la direction du Roi Ferdinand d'Espagne.
La victoire était assurée, et la communauté juive était affolée. Une victoire espagnole signifiait l'arrivée de l'Inquisition, que la plupart des juifs de l'île, sinon leurs parents avaient fui ces dernières années. Le retour des conversions forcées, procès, bûchers, tout ceci n'était pas pour rassurer les juifs.
Ce matin là, une ménagère du quartier juif sortit comme à l'accoutumée pour cuire son pain au four public, qui jouxtait la forteresse. Son feu trop fort enflamma une cabane, puis l'enceinte de la forteresse, puis l'arsenal.
Une violente explosion réveilla la ville, et alerta la flotte espagnole, qui prit la fuite.
Le siège de Chios était terminé, la communauté juive pouvait respirer. Une grande fête fut instaurée, pour le Pourim de cette "héroïne" … qui aurait été jetée en prison dans d'autres circonstances
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